Petit Papa pourri, Joseph Hansen
Pourquoi – suite à la disparition de sa fille, réelle ou non – Charles Westover, avocat rayé du barreau, désespérément à court d'argent, a-t-il fait valoir ses droits à l'assurance ? Telle est la première question, que Dave Brandstetter, inspecteur des Assurances Banner, se pose au début de ce roman riche en rebondissements.
L'inspecteur n'est pas au bout de ses surprises car soudainement Charles Westover disparaît sans raison apparente.
Sa fille adolescente Serenity, qui avait quitté le foyer parental quelques temps auparavant, a-t-elle été tuée par Azrael, gourou dément d'une secte sexuelle ? Son cœur a-t-il été mangé comme celui d'autres victimes ?
Pourquoi Anna Westover, épouse de Charles, a-t-elle décidé de se séparer de son mari ? Est-ce bien pour les raisons que tout le monde avance, à savoir les pratiques de subordination de témoins que son mari pratiquait pour défendre ses clients de la pègre ?
Pourquoi Lyle Westover, frère cadet de Serenity, conserve-t-il une affection pour Don Gaillard, un ami d'enfance de son père ? Que s'est-il passé pour que du jour au lendemain, Don Gaillard ne soit plus le bienvenu dans la maison familiale de son ami ?
Il faudra toute la perspicacité de Dave, accompagné de son amant Cecil, un jeune homme noir dont il est fortement épris, pour apporter des réponses à toutes ces questions. Les deux amants passeront d'ailleurs, à plusieurs reprises, près de la mort.
Dave Brandstetter découvrira qu'entre Charles, le père de famille, et Don Gaillard, son plus proche ami, les relations étaient bien plus proches que chacun se l'imaginait.
Le lecteur de ce roman peut reprendre, entre chaque épisode dramatique, son souffle grâce aux relations affectives richement décrites entre Dave et Cecil. Sans oublier l'humour de l'auteur, Joseph Hansen, comme dans cette scène où Miles Edwards, le fiancé d'Amanda (neuvième épouse de feu Brandstetter père), drague Dave… qui résistera à la tentation :
« — Enfin, dit une voix. Je [il s'agit de Miles Edwards] croyais que vous [Dave Brandstetter] n'arriveriez jamais.
Un bras nu le [Dave Brandstetter] cloua sur place, puis une jambe nue. Un corps nu se pressa contre lui, une bouche couvrit la sienne, une bouche barbue. Il libéra sa tête, dégagea un bras, tâtonna dans le froid, chercha la lampe de chevet, et la manqua. Il essaya de se lever mais les bras le maintenaient. L'inconnu riait. La main de Dave heurta la lampe et il alluma. Miles Edwards s'assit dans le lit, en relevant des cheveux tombés sur ses yeux et en riant. […]
Dave était debout et enfilait vivement son pantalon de velours.
— Foutez-moi le camp de ce lit et rhabillez-vous !
— Vous plaisantez.
Edwards rejeta draps et couvertures. Il s'assit en tailleur. Il était plus beau que dans son adolescence, quand les photos avaient été prises. Encore très mince mais mieux charpenté, plus dur. Il tendit ses mains ouvertes.
— Vous ne voulez pas de ça ?
— Que j'en veuille ou non, là n'est pas la question. Vous allez épouser Amanda, bon Dieu ! Et si vous vous fichez d'elle, pas moi. Comment avez-vous pu imaginer que je lui ferais ça ?
— Qu'est-ce qu'Amanda vient faire là-dedans ?
Amanda et moi, ça va très bien, merci. Ça, c'est une chose à part. Bon Dieu, vous êtes assez vieux pour savoir ça.
— Ce n'est pas une question d'âge mais de cynisme. Manifestement. Mais même si je « savais ça », je ne crois pas qu'Amanda le sache. Et je ne veux pas qu'elle l'apprenne. Ni par vous ni par moi.
— Elle n'en saurait rien. A quoi bon ? Allez, venez...
Edwards se mit à genoux. Railleur mais inquiet. Vous n'allez pas le lui dire ? Pour quoi faire, bon Dieu ?
Dave lui tourna le dos, trouva des cigarettes sur la table de chevet, en alluma une.
Il n'y aura rien à dire, déclara-t-il, accoudé à la balustrade de la loggia et regardant dans le noir. Nous allons oublier ça. Et vous allez discrètement disparaître de sa vie, en faisant de votre mieux pour ne pas même laisser un soupçon de regret.
— Pourquoi ? Parce que je suis à voile et à vapeur ? Qu'est-ce que vous voulez que je fasse, que je change ce que je suis ? Vous pouvez, vous ? Le lit grinça. Dave sentit le plancher de la loggia vibrer sous ses pieds. Edwards l'enlaça encore, se colla contre son dos.
— Venez, supplia-t-il. Vous le voulez, vous le savez bien. Je mourais d'envie de vous. Je pensais que si vous regardiez ces photos...
Dave le repoussa. » (pp.154-155)
■ Petit Papa pourri, Joseph Hansen, Editions Gallimard/Série Noire, 1983, ISBN : 2070489124
Du même auteur : Les mouettes volent bas - Le garçon enterré ce matin - Un pied dans la tombe - Par qui la mort arrive - Pente douce
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Hommage à Joseph Hansen et chroniques brèves des romans : Le poids du monde - En haut des marches - Les ravages de la nuit