De profundis de Oscar Wilde [1897]
La fatalité voulut que le piédestal sur lequel se tenait Wilde s'écroulât, l'entraînant dans sa chute jusqu 'au fond d'une geôle de Readins. Elle avait pris un autre nom : l'Amour.
Lord Alfred Douglas/Bosie était un enfant gâté et capricieux (1) de l'aristocratie anglaise dont s'enticha, pour sa perte, Oscar Wilde qui, alors, occupait une place symbolique dans l'art et la culture de son époque.
Le "De Profundis" révèle la réalité de l'amour quand l'irrémédiable est consommé et que, malgré tout, l'être se surprend à se révulser, sporadiquement, contre la sentence qu'il a prononcée.
Le premier mouvement de la lettre prend la forme d'un violent réquisitoire, écrit du fond de la prison et du désarroi, à l'encontre du « Prince Fleur de Lys », gigolo écervelé, mais adoré, à qui s'applique en premier l'affirmation maintes fois renouvelée :
« Le vice suprême est d'être superficiel. »
Violent et sordide, comme l'amour défait.
Des chiffres, des comptes d'apothicaire : l'amour est mesquin, même celui de Wilde. Des reproches accumulés, des récapitulatifs de griefs, menus ou conséquents, le linge sale déballé : l'amour est rancunier. L'amour tente de panser sa mortelle blessure en se détournant de l'essentiel pour se reporter sur ce qui paraissait l'accessoire. L'amour délaisse l'idéalisation pour découvrir le quotidien.
Et l'étrange rédemption qu'apporte la souffrance : « seule preuve de notre existence », et « témoignage de la permanence de notre identité », elle désarme l'arrogance et accorde l'apprentissage de l'humilité.
La leçon de Wilde ? Seul a de la valeur, seul est parfait ce qu'on obtient de soi, ce qu'on accomplit. La souffrance se fait révélation, « un lieu où règne la douleur est terre sainte. »
Ce n'est pas que Wilde perde conscience de sa grandeur et de son génie ni ne se départisse de son horreur et de son refus du puritanisme hypocrite régnant dans l'Angleterre victorienne, bien au contraire.
Wilde précise dans le "De Profundis" ce qu'il avait très vite pressenti et que la prison lui donne d'appréhender clairement. S'il s'attarde sur le Christ, dans le second mouvement du livre, ce n'est pas pour son altruisme ni pour la philanthropie dont l'a affublé le XIXe siècle, mais parce qu'il incarne à ses yeux la figure romantique par excellence, parce qu'il représente non seulement l'individualiste suprême mais le premier individualiste de l'histoire.
Et de l'amour, face à la haine :
« Tout ce que nous dit le Christ sous forme de discrets avertissements est que chaque moment de la vie devrait être beau, que l'âme devrait toujours être prête pour la venue de l'époux, toujours attentive à la voix de l'amant, le philistinisme étant simplement ce côté de la nature de l'homme qui n'est pas illuminé par l'imagination. »
L'ambition tacite du "De Profundis" est d'abord de donner à entrevoir ce qu'est l'amour et ce qu'est la nature de l'amour.
■ De profundis de Oscar Wilde [1897], Editions Stock, Collection La Cosmopolite, octobre 2005, ISBN : 2234058260
Du même auteur : Teleny
Lire aussi la biographie d'Oscar Wilde par Jacques de Langlade : Oscar Wilde ou la vérité des masques
(1) Le livre d'Isaure de Saint-Pierre, Bosie and Wilde : La vie après la mort d'Oscar Wilde qui vient de paraître [Editions Le Rocher, 9 novembre 2005, ISBN : 2268056341], cherche à casser cette image d'enfant capricieux .
A lire encore : Le Procès d'Oscar Wilde de Merlin Holland, Editions Stock, Collection La Cosmopolite, octobre 2005, ISBN : 2234058228
Les minutes du procès Wilde-Queensberry restituent à merveille l'esprit de l'écrivain, l'un des plus vifs et impertinents de l'époque. Ainsi cette réponse à la défense, qui lui demande s'il a embrassé un certain Walter domestique : « Oh non, c'était un garçon singulièrement quelconque. » Suicidaire ? Sans doute, mais quel panache dans la débâcle !