Octobre, Christopher Isherwood
OCTOBRE est un journal. Le quotidien avec ses menues besognes, les amis, l'écriture, la remontée soudaine d'un souvenir : les banalités de la vie pendant le mois d'octobre 1979.
Voici la matière du livre : jours semblables à ceux de n'importe quel homme vieillissant qui capte, avec l'acuité que donne le ralenti du temps, les incidents d'une existence ordinaire.
Parce que Christopher Isherwood (1904-1986) est un écrivain, le miracle se produit. Le narrateur n'est plus anodin. Le regard qu'il porte sur les moindres événements se nourrit de l'expérience du créateur. Davantage encore : là où on craignait une certaine complaisance à évoquer le passé ou à reconstruire la mémoire faste d'un autrefois magnifié, on lit l'humble description du présent, une jouissance paisible des paysages et des êtres.
Bref la tranquille écoute des heures, sans regrets et sans discours pontifiant.
En lisant "Octobre", j'ai pensé aux derniers textes de Marcel Jouhandeau. Rapprochement accentué par la présence tout au long du récit de l'ami, l'amant, Don Bachardy, créateur lui-même.
Ce «NOUS» permanent dans le journal témoigne sans plaidoyer d'une homosexualité heureuse (« Don et moi avons tous deux... Pour Don et moi... »). Ce «NOUS» qui révèle trente années de vie commune mais apparaît comme la modeste vérité d'un couple (les écrivains hétérosexuels ont-ils jamais eu cette pudique générosité lorsqu'ils parlaient de leur compagne?) est la marque la plus attachante de cette double création (les portraits des amis dessinés par Don accompagnent le journal de Christopher), de cette totale complicité.
Passent la mère, le frère Richard, morts. Glisse le souvenir d'illustres amis : Auden, Swami Prabhavananda... d'écrivains aimés : Byron... Sont là tout près : David Hockney, Gore Vidal... Mais aussi les femmes d'un supermarché, le travesti Divine, ceux avec qui on boit quand glisse la nuit sur cet océan tout proche où Don attendra Christopher pour la baignade du matin. Il y a ces nuits avec l'ami, une fine musique des mots loin des fulgurants exercices de style sur la mort.
L'écrivain tait, avec pudeur, le drame du vieillissement mais rit, avec impudeur, des jeux de société et il appelle un chat un chat, une enculade une...
■ Octobre, Christopher Isherwood, avec 32 dessins de Don Bachardy, Traduit de l'anglais par Gilles Barbedette, Editions Rivages poche, Collection Bibliothèque étrangère, 1999 (réédition), ISBN : 2743605537
Du même auteur : Adieu à Berlin - Un homme au singulier - Le lion et son ombre – Mon gourou et son disciple – Rencontre au bord du fleuve