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Tabous et interdits, Patrick Banon

Publié le par Jean-Yves Alt

Un monde sans tabous serait un monde inhumain ; cependant, il faut en connaître les origines et les significations. Tous les véritables tabous ont un dénominateur commun, celui de protéger le faible contre le fort et de permettre une vie sociale apaisée. N'utilisons donc pas le mot tabou à tort et à travers.

Nombre d'interdits prétendent accéder à la dimension d'un tabou. Mais si un interdit encourage l'inégalité entre les hommes et les femmes, caresse le rêve de la supériorité d'un peuple sur un autre ou, pire encore, croit pouvoir décider qui peut vivre ou doit mourir, alors cet interdit est factice.

Car les tabous n'ont pour objectif que de tisser un lien entre les hommes, et une frontière entre humains et animaux. […Ils] font partie de l'idée même d'humanité. Ne les regardons pas comme des rites venus d'un autre âge, mais bien comme des aide-mémoire destinés à nous rappeler que nous sommes, avant tout, des êtres humains embarqués sur la même arche de Noé. (p.83)

Patrick Banon

EXTRAIT :

-- L'homosexualité n'est plus taboue

L'homosexualité ne répond pas à un tabou archaïque. Ce terme n'existe ni dans la Bible juive ni dans le Nouveau Testament. Il a été inventé en 1869 par un médecin autrichien pour décrire une orientation sexuelle ne correspondant pas à la normalité constatée. C'est à partir du XIXe siècle que la sexualité devient un facteur déterminant pour décrire un individu dans la société.

Dans le Proche-Orient ancien, Israël, la Mésopotamie ou l'Égypte, le concept d'orientation sexuelle était inconnu. Aucun code de lois ne condamnait l'homosexualité. L'homme n'est condamné que si l'acte sexuel implique la violence. Sous le règne de Roboam, fils de Salomon, les textes rapportent que la prostitution masculine était officielle dans le pays. Dans l'Égypte ancienne, un pharaon qui entretenait des relations particulières avec son chef des armées n'était coupable d'aucune transgression, même s'il fut tourné en ridicule par ses détracteurs. […]

-- L'origine du tabou de l'homosexualité

"Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme", interdit la Bible. Ce n'est pas la personne homosexuelle qui est condamnée mais l'acte en question. La sodomie est considérée comme une perte du fluide vital du clan ou de la tribu. L'acte est donc rejeté, non pas pour des questions de moralité, mais d'efficacité. Dans ce contexte biblique, seul l'homme est tenu d'être fécond.

L'acte homosexuel masculin sera donc interdit mais l'homosexualité féminine, qui n'entraîne pas de perte du précieux fluide vital, ne sera pas condamnée. La perte du fluide vital du clan est au cœur du débat ancien sur l'homosexualité. Légalement, les moeurs romaines interdisaient les rapports homosexuels entre deux personnes de sang romain, mais les autorisaient avec des esclaves ou des étrangers, le sang romain n'étant alors pas menacé.

Dans la tradition chrétienne, l'apôtre Paul condamne l'homosexualité, en en faisant un véritable nouveau tabou, une condamnation sur laquelle l'Église s'appuiera pour tenter d'exclure les personnes homosexuelles de son sein. Aucune condamnation de cette sorte ne se trouve dans les Évangiles. La fracture provoquée par Paul dépasse l'acte sexuel et touche l'orientation sexuelle des hommes et des femmes. Mais il faut rappeler que Paul vivait à une période de rupture entre le monde biblique et les religions romaines. Néron ne venait-il pas d'épouser un jeune homme nommé Spores qui ressemblait parfaitement à son épouse défunte, Poppée ?

-- Un tabou rattrapé par la science

L'homosexualité a donc été considérée tardivement comme tabou – et pour des raisons religieuses, non pas pour des raisons de moralité. En réalité, les peuples primitifs n'établissaient pas de lien direct entre l'acte sexuel et la reproduction. On considérait que les femmes étaient fécondées par le vent ou par des esprits, puis plus tard par des dieux.

Bien avant l'émergence des religions, les hommes considéraient l'union sexuelle comme un rite. L'homme représentait le ciel d'où tombe la pluie, et la femme la terre, qui, une fois fertilisée, donnera des fruits. L'acte sexuel entre un homme et une femme apparaissait comme un moyen de participer au sacré, de reproduire au niveau humain les cycles cosmiques, de se purifier afin de tendre vers l'immortalité. L'acte homosexuel n'était donc pas condamné, mais ne participait sans doute pas aux rituels de sacralisation du clan.

L'insémination artificielle, et l'acceptation grandissante de l'homoparentalité, rendent le tabou de l'homosexualité caduc, puisque hommes et femmes sont de plus en plus nombreux à avoir la possibilité de construire une famille tout en vivant selon l'orientation sexuelle qu'ils ont choisie. Le tabou d'homosexualité disparaît parce qu'il n'a jamais vraiment existé en tant que tel. Un véritable tabou ne se plaide pas, ne s'abolit pas et ne s'efface pas selon l'opinion des uns et des autres.

Les tabous de l'inceste ou du meurtre, en revanche, ne sont pas près de disparaître parce qu'ils sont des tabous fondateurs, et non de simples interdits. Ce qui n'est pas le cas de l'homosexualité. (pp.67-69)

■ Tabous et interdits, Patrick Banon, éditions Actes Sud Junior, 2007, ISBN : 978-2742769681


Lire l'article de Lionel Labosse

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