Mourir de ta main, c'est renaître : le martyre de saint Mathieu par Le Caravage (Rome)
« Dans un lieu indéterminé, plutôt sombre, genre terrain vague ou hangar abandonné, un homme gît à terre, renversé sur le dos. Debout au-dessus de lui, une belle brute de vingt ans, nue, les reins à peine couverts d'un linge étroit, brandit une épée. Les spectateurs s'enfuient épouvantés. Loin de chercher à se défendre, l'homme écarte les bras et sourit au jeune assassin. L'expression de la plus vive jouissance illumine son visage.
Cette complaisance m'avait de tout temps fasciné. Montrer une telle soumission à son bourreau ! La victime ne cherche ni à le raisonner ni à le supplier, elle appelle la mort, elle s'offre au sacrifice, sans même se protéger la figure avec les mains. "Viens, semble dire l'homme renversé à terre, je t'ouvre mes bras, il y a longtemps que je t'attendais."
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Le tableau représente, en principe, le martyre de saint Matthieu ; mais je n'étais pas dupe ; sous le prétexte de traiter un épisode tiré de l'histoire de l'Eglise, le peintre avait donné forme à une rêverie universelle. Nul besoin d'être chrétien pour en être ému. Etranger à toute « foi », j'étais bouleversé par ce crime. Les Ecritures possèdent une réserve de sujets pour exorciser les fantasmes dont la réalisation mettrait en péril la société. Abraham et Isaac : tentation de l'infanticide. Judith et Holopherne : envie de tuer son partenaire sexuel. Abel et Caïn : fantasme du fratricide. On regarde ces tableaux et on revient à des sentiments plus décents, on se résigne à la progéniture, au couple, à la famille, le cours des choses peut reprendre. Il me semblait que le tableau de Caravage avait lui aussi une fonction cathartique, mais je discernais mal contre quel danger il prémunit. Que me montrait-il ? »
texte extrait de Jérémie ! Jérémie ! de Dominique Fernandez, Editions Grasset, janvier 2006, ISBN : 2246695317, page 14