Guillaume le Maréchal ou Le meilleur chevalier du monde, Georges Duby
Il est né vers 1145, mort en 1219. La vie, exceptionnellement longue, de Guillaume le Maréchal est passionnante. Non seulement parce que, de petite extraction, Guillaume réussit à s'élever jusqu'à la régence du royaume d'Angleterre, mais aussi parce qu'il vécut à une époque charnière du Moyen Age : à l'apogée du système féodal et au début de la profonde révolution commerciale du XIIIe siècle.
On connaît son existence grâce à un long poème que son fils fit écrire pour glorifier sa mémoire. C'est à partir de ce très beau texte que Georges Duby a analysé le système féodal dans "Le Meilleur chevalier du monde". Et, plus précisément, l'ordre chevaleresque et les rapports vassaliques.
A cette étude de la société noble de l'époque, s'ajoute celle des rapports familiaux, de la place et du rôle des enfants dans les grandes familles, des relations entre hommes et femmes, de l'amitié virile entre chevaliers.
Le système féodal, sur le plan de l'organisation du pouvoir, conduit à des situations presque invraisemblables. Lorsque le chevalier n'est encore que "bachelier" ( c'est à dire quand son suzerain ne lui a pas encore accordé d'épouse), il appartient à une "maison". Ainsi Guillaume le Maréchal fit un temps partie de la maison du roi Henri le Jeune qui s'était rebellé contre son père Henri II d'Angleterre. Lequel des deux servir ? Guillaume servit son "patron", Henri le Jeune, non sans avoir demandé l'autorisation au père de ce dernier... Situation on ne peut plus paradoxale mais que l'organisation des rapports vassal/suzerain entraînait.
Guillaume connut d'autres positions tout aussi délicates. Quel parti adopter dans la lutte entre le roi Richard Cœur de Lion, parti en Orient, et le rebelle Jean sans Terre ? Et dans la guerre avec Philippe Auguste, roi de France ? Guillaume n'était-il pas, de par les terres qu'il possédait, vassal des deux rois ennemis ? Il est vrai aussi qu'à l'époque, la guerre ne se déroulait pas comme aujourd'hui, ses règles étaient précises, les échanges guerriers brefs, la loyauté de rigueur.
Les femmes semblent absentes de cette société. Le grand poème de Jean l'Anonyme à la gloire de Guillaume le Maréchal n'en parle que fort peu. Pourtant elles jouent un rôle essentiel au sein de la classe chevaleresque : elles aident à la promotion des chevaliers. Un chevalier non marié, un "bachelier", ce n'est rien ou presque rien. Il erre de tournois en tournois, loue ses services... S'il veut avoir une place dans la société, c'est-à-dire créer sa propre "maison", il doit prendre épouse, et c'est son suzerain qui lui accorde femme parmi les jeunes héritières ou les veuves. Si Guillaume devint si riche et si puissant, ce n'est pas seulement grâce à sa bravoure et à sa science de l'art de la bataille, c'est aussi que son roi lui accorda la main de la seconde plus riche héritière du royaume d'Angleterre.
Guillaume ne possédait pratiquement rien en propre, il tenait tout de sa femme. S'il était mort plus tôt, son épouse serait revenue sous l'influence du roi qui aurait pu la "donner" à nouveau en récompense à l'un de ses plus fidèles vassaux. C'est là plus ou moins le seul rôle des femmes...
Des enfants, seul l'aîné, l'héritier (garçon), jouit d'une réelle considération. Non que les autres soient rejetés, car l'affection parentale existe, mais ils n'ont pas vraiment de place dans le système. Quant aux filles, si elles ne sont pas héritières, c'est l'anonymat complet. Les cadets sont souvent donnés en otage, comme gage, au suzerain. Ainsi en fut-il de Guillaume dans son enfance. Et lui-même, partant sur ses terres d'Irlande contre la volonté du roi, dut laisser quelques-uns de ses enfants en Angleterre entre les mains de son suzerain.
A la lecture du poème de Jean l'Anonyme, Georges Duby relève que si l'affection parentale existe, de même que de doux sentiments entre mari et femme, le mot "amour" est strictement réservé aux liaisons entre hommes, à l'amitié virile. Cette société médiévale est totalement masculine. L'univers masculin et l'univers féminin sont complètement séparés. Toute la construction du système chevaleresque tourne autour de cet "amour" : gagner et conserver l'amour de tel ou tel suzerain. Lors de la cérémonie des hommages, lorsqu'un chevalier reconnaît officiellement son lien vassalique à l'égard d'un seigneur plus puissant, le suzerain et son vassal s'embrassent sur la bouche. Sans doute signe supérieur de l'allégeance.
Georges Duby ne parle à aucun moment d'homosexualité. Ce qui ne signifie pas que de tels rapports n'aient pas existé…
■ Guillaume le Maréchal ou Le meilleur chevalier du monde, Georges Duby, Editions Fayard, 1984, ISBN : 2213013497 ou Editions Gallimard, Collection Folio/Histoire, 1986, ISBN : 2070323447
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