Billy Budd Matelot, Herman Melville
Billy Budd est le dernier texte de Herman Melville : il parut pour la première fois en 1924, soit près de trente ans après sa mort.
Ce court roman a peut-être moins d'importance que ses œuvres de jeunesse, notamment Taipi (son premier roman, 1846) ou Omoo (l'année suivante), récits de voyages qu'il écrivit après plusieurs années passées dans les mers du Sud et à Tahiti, et qui portent mention – ce qui est sans précédent dans l'Amérique de 1850 - de faits, de thèmes et de personnages homosexuels.
Billy Budd comme testament posthume résume certaines préoccupations de Melville. Tout y est écrit au masculin. Pas de jeunes filles ou de petits marquis poudrés. L'univers de Melville est un univers de marins virils. Billy Budd, c'est un monde où toute affection est sublimée mais où, çà et là, perce, démesurée, l'érotique de relations homosexuelles freinées seulement par ces rapports à l'Autorité, ces petits conflits que sécrète tout univers d'hommes.
L'histoire est simple : L’histoire se passe en 1797, pendant la guerre entre la France révolutionnaire et l’Angleterre, sur un bateau de la marine anglaise (alors en manque de marins). Lorsque le Bellipotent croise un navire marchand, un marin est alors enrôlé de force. Il s’agit de Billy Budd : c’est un jeune homme de 21 ans (il est dit qu’il en paraît moins) et d'une beauté extraordinaire : beau comme un dieu peut l'être, surnommé par tous « le beau Marin », il impose sa grâce de pur-sang légendaire. Deux personnages présents sur le bateau tombent sous le charme du jeune marin : le capitaine Vere et le capitaine Claggart. Ce dernier est capitaine d’armes c’est-à-dire sous-officier chargé de l’ordre à bord. L’admiration portée à Billy Budd va plonger le premier dans une grande rêverie, tandis que le second va vivre la beauté du jeune marin comme un affront personnel. Dès lors Claggart va prendre la résolution de nuire à Billy Budd, ce qui se traduira par une dénonciation calomnieuse : Billy aurait eu l’idée de fomenter une mutinerie. Le capitaine Vere ne croit pas son sous-officier qui renouvelle pourtant son accusation. Le problème de Billy Budd, quand il est confronté au mal, est de ne plus pouvoir parler. Ainsi au lieu de se défendre, face aux accusations de Claggart, il frappe ce dernier et le tue. Par application de la loi martiale, le capitaine Vere est contraint de condamner à mort le jeune marin alors que tout le monde est convaincu de son innocence. Les derniers mots de Billy Budd sont : « Que Dieu bénisse le capitaine Vere ! » (p. 129). Sorte d’absolution au capitaine Vere qui a pour conséquence de calmer l’équipage.
Normalement quand un homme est pendu, il a une érection. Ce qui n’a pas été le cas pour Billy Budd. Un échange se fait entre des marins qui ont assisté à la pendaison et le médecin présent sur le bateau. Les premiers pensent que Billy a eu une puissante volonté pour annihiler cette érection ; le médecin les contredit :
« Quelques jours plus tard, quand, se référant à la singularité qui vient d'être mentionnée, l'écrivain, un homme assez rond et rougeaud, comptable avisé plus que profond philosophe, dit au chirurgien assis à la table des officiers : "Quel témoignage de la force que recèle la volonté !", ce dernier – un homme taciturne, grand et mince, chez lequel une discrète causticité allait de pair avec des manières moins avenantes que polies – répondit : "Pardonnez-moi, monsieur l'écrivain. Dans une pendaison scientifiquement conduite – et, sur ordres spéciaux, j'ai moi-même prescrit comment celle de Budd devait être effectuée – après la suspension complète, tout mouvement qui nait dans le corps suspendu, tout mouvement de ce genre dénote un spasme mécanique dans le système musculaire. En conséquence, son absence n'est pas plus attribuable à la force de la volonté, comme vous l'appelez, qu'à la force motrice – veuillez me pardonner…" » (p. 131)
Le capitaine Vere voit la beauté de Billy Budd comme un cadeau venant du ciel alors que le capitaine Claggart souffre sans pouvoir apprécier cette beauté là où elle est. Claggart ramène tout à lui ; il trouve insupportable que cette beauté soit distribuée sans critère. Vere, à la différence de Claggart, sait accueillir ce qui est donné à un autre…
La beauté virile serait-elle porteuse de mort dans cette Amérique calviniste du milieu du XIXe siècle, dont Melville dépeint l'ironie ? Dans cette société religieuse, l'ange serait-il un scélérat, l'homme sexuellement désirable un hérétique ?
Billy Budd est un véritable drame antique. Le théâtral surgit avec ce capitaine Vere, lui aussi amoureux de Billy mais contraint, par sa fonction de chef militaire, de le faire exécuter. Sacrifice banal d'un désir condamné à être morbide. Mais y aurait-il un désir possible sans cette morbidité ?
■ Billy Budd Matelot, Herman Melville, Editions Amsterdam, Traduction de Jérôme Vidal, 2004, ISBN : 2915547017
Du même auteur : Benito Cereno – L'érotisme dans Moby-Dick
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