La vie ardente de Michel-Ange, Irving Stone
David, la Chapelle Sixtine, Saint-Pierre... Quelques jalons célèbres dans le monde entier d'une vie entièrement consacrée à l'art, et à travers lui, à la beauté.
Car Michel-Ange fut avant tout, et quatre-vingt-dix ans durant, un fou de la beauté qu'il n'avait de cesse de traduire ou de créer par la sculpture mais aussi par la peinture, l'architecture et la poésie. Le livre passionnant que lui a consacré Irving Stone est un juste hommage à l'un des génies les plus remarquables de l'histoire.
Malgré l'opposition de son père qui veut faire de lui un bourgeois, Michel-Ange Buonarroti est engagé, en avril 1488, comme apprenti chez Ghirlandajo, l'atelier le plus prospère d'Italie. A treize ans, cet « adolescent grave et appliqué », ce garçon maigre au visage mal dessiné montre déjà des dons exceptionnels pour la peinture et le dessin. Mais c'est la sculpture qui le passionne. Laurent de Médicis crée une école, le jardin de la Piazza San Marco, pour que la sculpture florentine retrouve ses jours de grandeur. Le vieux Bertoldo, élève de Donatello, y admet Michel-Ange, au comble du bonheur.
Invité par Laurent le Magnifique à vivre et travailler au palais des Médicis, Michel-Ange effectue ses premiers travaux, qui préfigurent le génie, la richesse et la modernité de toute son œuvre. Il a dix-sept ans quand meurt Laurent. Commence alors une longue période de combats et de heurts avec les multiples protecteurs qui le tiennent à leur merci par leurs commandes. Sa vie entière, il devra lutter pour préserver son idéal artistique. Il partagera sa vie et son travail, qui ne feront toujours qu'un, entre Florence, sa ville natale et le berceau de sa jeunesse, et Rome où l'appellent les papes qui se succèdent et le pressent de travailler pour eux.
Avec le Vatican, ce seront de continuels rapports de force car il doit exécuter, contraint et forcé, des commandes papales pour pouvoir continuer de donner libre cours à la grande passion de sa vie : la sculpture du marbre blanc.
Mais quelque travail qu'il accomplisse, œuvre imposée ou profondément désirée par lui, « il y avait au plus profond de lui-même cette incapacité de donner autre chose que la perfection. Il lui fallait créer au-delà de ses possibilités, parce que rien de ce qui n'était pas nouveau, frais, différent, capable d'agrandir l'art de façon tangible ne le contenait. Il n'avait jamais accepté de compromis avec la qualité; son intégrité était le rocher sur lequel il avait bâti sa vie. Si, par indifférence, si, par lassitude, il laissait le roc se fissurer, s'il laissait aller les choses, c'en était fait de lui. »
Très jeune, Michel-Ange avait été tenté par la peinture de nus, interdite par l'époque puritaine (au moins en ce qui concernait l'art). Clandestinement, il pratiqua la dissection, punie de mort, pour mieux comprendre les mécanismes du corps humain. Aussi souvent que possible, ses œuvres, qu'elles soient sculpturales ou picturales, étaient un chant magnifique dédié à la beauté physique et plus particulièrement celle du corps masculin. « Pour lui, la beauté du corps humain avait toujours été le commencement et la fin de l'art. »
Michel-Ange n'avait pour ainsi dire pas de vie privée. L'essentiel de son temps était consacré au travail et il en oubliait même souvent de manger ou de dormir. Pourtant, adolescent, il avait été frappé par la beauté fragile de la fille de Laurent de Médicis, Contessina. Cet amour, bien que réciproque, ne se concrétisa jamais, ce qui n'empêcha par Michel-Ange d'éprouver un grand attachement pour Contessina, jusqu'à la mort de celle-ci. Il y eut aussi plus tard une passion charnelle brûlante pour une jeune et jolie femme mariée de Bologne, puis, sur la fin de sa vie, un sentiment platonique et passionné pour Vittoria Colonna, qui paya de sa beauté et de sa vie ses idées contraires à la politique de l'Eglise.
La légende veut que Michel-Ange eût été homosexuel. Le livre d'Irving Stone ne permet en rien de l'affirmer, sinon pour indiquer, au début et à la fin de sa vie, deux passions dont le sexe semblait être absent. Au jardin de sculpture des Médicis, Michel-Ange adolescent éprouve un tendre attachement pour un jeune camarade, « beau garçon solidement bâti, aux yeux gris et aux cheveux blonds » : Pietro Torrigiani. « Michel-Ange n'avait jamais connu quelqu'un d'aussi beau ; ce genre de beauté physique, touchant presque à la perfection, lui donnait, lorsqu'il considérait ses propres traits et sa petite stature, un sentiment d'infériorité (...) Il éprouvait pour Torrigiani une profonde affection, presque de l'amour. Il se savait très simple ; avoir conquis l'admiration d'un jeune homme si beau, si désirable... c'était comme le vin capiteux pour celui qui ne boit jamais. »
Au soir de sa vie, un autre garçon, vingt-deux ans posé, cultivé et l'héritier d'une famille patricienne de Rome, l'éblouit par sa singulière beauté Tommaso de Cavalieri « avait des yeux d'un gris bleu lumineux, un nez classique, une bouche qu'on eût dite sculptée par Praxitèle dans un marbre couleur chair un front haut et bombé équilibrant le menton accentué, des cheveux châtains, des joues longues aux pommettes saillantes et le teint vif des jeunes athlètes de la Grèce antique. » Malgré les trente cinq ans qui les séparent, « la seule présence physique de Tommaso lui donnait un choc, une sensation de vide au creux de l'estomac. Il n'était qu'un seul mot, il le savait, pour décrire ce qu'il éprouvait : l'amour. »
Cette amitié amoureuse, qui illumina les dernières années de Michel-Ange, était-elle de nature homosexuelle ? Toute une partie de la vie sexuelle et sentimentale de Michel-Ange a-t-elle été occultée par l'auteur ? Peut-être...
Mais comment ne pas, au-delà de ces détails, louer l'intelligence et le talent d'Irving Stone qui fait vivre à ses lecteurs, près de cinq cents pages durant, aux côtés de Michel-Ange, à Florence et à Rome, dans son atelier ou auprès du pape, solitaire ou entouré de ses amis ? Ce livre n'est pas seulement une biographie précise et documentée, c'est aussi et surtout un formidable roman, passionné et passionnant, sur le symbole et l'incarnation du génie qu'était Michel-Ange.
■ La vie ardente de Michel-Ange, Irving Stone, Editions Plon, 1983, ISBN : 2259010393
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