Mon beau légionnaire, Jean-Luc Hennig
Un clan de vieilles riches veuves, à Paris XVIe, dans les années 60. Elles sont « friandes » de beaux hommes, si peu romantiques, si directement obsédées par les signes tangibles de la virilité, si confites dans le fantasme...
Elles ont la bouche si pleine des mots "muscles", "peau", "fesses". Elles mettent en commun, si facilement, le commentaire du désir et deviennent si machiavéliques quand il s'agit de s'en approprier les bénéfices. Elles succombent après un combat si bref... qu'il me vient un doute :
et si ces allègres vieilles, âpres et méchantes, fantasques et lucides, étaient des hommes ? Non pas des travestis (dont elles ont parfois la tapageuse et indécente élégance), mais - astucieuse transposition - des « tantes » vieillissantes et carnassières, qui comblent le déficit du temps par l'outrance du discours, une vertigineuse volubilité qui a pour unique sujet le corps de l'homme-objet ?
Mais peu importe ! Hommes ou femmes, elles sont monstrueuses, agglutinées autour de « Très-Vieille-Olga », soixante-treize ans, ancienne actrice, veuve à répétition en fin de course, qui vit enfermée dans son luxueux appartement avec Oscar (ancien clochard, homme à tout faire), Simplicius (adolescent adopté), et quelques comparses comme une araignée et un chien.
Le Comité des Veuves et Martyres de la rue Ribéra - femmes unies par la jalousie et la haine - joue le jeu de la morale autour du chanoine Cercueil et de ses sémillants vicaires pour mieux se livrer à la subtile jouissance de s'inventer, jour après jour un mâle comestible et muet qui exalterait le corps qu'elles se rêvent, celui des grandes séductrices du cinéma, mystérieuses et divines, hyper-maquillées, super-habillées.
C'est Québec, une sorte de "Querelle de Brest", que conduit l'enfant Simplicius. Elles en tremblent de faim. Et les mots deviennent chair : « Bête superbe... Cuisses d'éléphant du Pamir... Magistral tas de viande... un derrière sublime... ce gracieux mâle immobile... un si beau monstre...»
Le théâtre accueille enfin le personnage imaginaire. Mais Très-Vieille-Olga tombe de l'autre côté du désir, l'amour, parce que Québec possède aussi « le charme de la défaite ».
Un seul amour résiste à la caricature, « un certain type d'attachement ou une certaine forme de folie qui ne pouvait pas connaître son accomplissement... un beau moment, flamboyant et douloureux » , le conte de fée entre Simplicius, treize ans, et Québec, trente ans : « Et il le quitta comme un nuage s'en va. »
Les Veuves parlent, boivent et mangent. Elles colmatent les ravages de la vieillesse et évacuent la peur. Elles parlent et Jean-Luc Hennig déploie un monologue fou, une avalanche de formules, la jouissance toute puissante des mots…
Pouvoir extraordinaire du vocabulaire dont l'excroissance occupe tout l'espace du délire. Quelle que soit sa volonté de causticité, l'auteur communique aussi un rire régénérateur, une secousse de tendresse tout en mettant en garde son lecteur .
En perdant le goût de l'excès et de la dérision, on perd peut-être de la vie.
■ Mon beau légionnaire, Jean-Luc Hennig, Nouvelle édition de ce roman paru en 1991 : Editions Fayard, février 2006, ISBN : 2213628009
Du même auteur : Obsessions/Enquête sur les délires amoureux - Brève histoire des fesses