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Truman Capote vu par Gérald Clarke (1/3)

Publié le par Jean-Yves Alt

Une biographie qui met l'accent sur les amours homosexuelles et la vie tumultueuse de Truman Capote.

Truman Capote appartient à cette catégorie d'êtres qui ne peuvent laisser indifférent : d'emblée, on les adore ou on les exècre. Son existence peut se comparer à la courbe régulière d'une parabole : ascendante jusqu'à la maturité, et suivie du déclin, et de la déchéance physique et sociale...

A mi-route, il atteint le sommet de sa carrière et de sa célébrité : en 1966, il vient d'achever son œuvre la plus fameuse, In Cold Blood, inspirée d'une authentique affaire criminelle.

Pour une poignée de dollars, deux jeunes gens armés d'un fusil de chasse, tuent successivement les quatre membres d'une famille de fermiers, dans le village de Holcomb, situé dans les hautes plaines à blé de l'ouest du Kansas, une région solitaire que les autres habitants des environs appellent «là-bas». Ainsi l'auteur plante-t-il le décor de cette tragédie, dès le commencement du récit.

Après une série d'aventures au Mexique et à travers les Etats-Unis du Sud, aventures où Dick Hickock et Perry Smith pensent réaliser la plénitude de leur vie, les meurtriers sont arrêtés à Las Vegas, quelques semaines après le massacre. Le procès a lieu à Kansas City au printemps de 1960. Les assassins sont condamnés à mort ; la marche normale des pourvois et des demandes en révision retarde leur exécution jusqu'en avril 1965.

L'aspect le plus dramatique et le plus passionnant de cette longue enquête est l'amitié nouée par l'auteur avec les deux criminels condamnés à mort assez rapidement mais qui attendirent cinq ans, dans une cellule du pénitencier de Kansas City, la mort atroce par pendaison. Truman leur écrit deux fois par semaine durant toutes ces années, et il reçoit régulièrement leurs réponses.

Les deux complices ne permettent pas que Truman n'écrive qu'à l'un d'eux. Perry, terriblement jaloux de Dick, ne souffre pas que celui-ci ait une lettre de plus que lui ; une lettre de trop adressée à l'autre, occasionne une véritable crise.

L'auteur leur parle de sa propre vie, de ses propres problèmes ; il veut se placer avec eux sur un pied d'égalité, et leur fait des confidences intimes, surtout à Perry. Une relation humaine véritable s'établit entre ces trois êtres, qui va jusqu'à l'amitié entre Perry et Truman. Ce dernier obtient l'aveu de certaines circonstances du drame, seulement au bout de quelques années, en reprenant un entretien interrompu. Truman Capote est obligé de faire un choix parmi toutes ces interviews. Par exemple, pour donner une explication des causes du crime, il emprunte d'abord le témoignage de Perry sur ses frustrations, puis celui d'un expert psychiatre, le Dr Satten.

In Cold Blood se présente comme l'autopsie d'un meurtre. Comme Truman Capote, Perry a connu un départ dans la vie difficile, voire douloureux. L'image qu'il a de lui-même dans le récit, explique les affinités particulières qui rapprochent les deux hommes. Perry continue de souffrir ostensiblement de son enfance d'orphelin, et des sévices que lui infligeait son père. Devant Dick, son compagnon, il invoque son père absent : « Papa, je t'ai cherché partout, où étais-tu, Papa ? »

D'après Perry, son père l'a empêché de devenir l'homme grand, viril, imposant, qu'il aurait voulu être, ou de devenir simplement un homme, un vrai. « Oh ! l'homme que j'aurais pu être. Mais ce salaud ne m'a pas laissé une seule chance de le devenir. »

Dès lors, la meilleure façon d'être plus masculin, c'est d'avoir un "dick" : c'est-à-dire de posséder « l'organe viril », en argot américain. Du reste, le récit présente Dick comme le type masculin par excellence, complètement masculin par rapport à un Perry « amoindri » et boiteux, parce que ses jambes ont été brisées dans un accident. En outre, Dick a été marié, deux fois, a engendré trois fils : preuves manifestes et supplémentaires de sa virilité ; il a pleinement acquis le statut d'époux et de géniteur de l'Amérique puritaine.

Lorsqu'il en parle, Dick appréhende Perry comme sa femme. Pour le désigner, il utilise des vocables affectueux : il l'appelle "mon chou", "mon bébé", "ma beauté", "mon chéri". Ce qui ne l'empêche pas d'ajouter plus loin que « Perry est une femme dont il faut se débarrasser... » et de se plaindre de « ses yeux larmoyants, sa voix chuchotante, son ton chamailleur », comme ceux d'une femme.

Or, avec sa taille minuscule (il mesure 1,58 m) et sa voix de fausset, Truman Capote a cherché toute sa vie à faire l'amour avec le même genre de symboles sexuels, des garçons "hyper masculins" ; dans la pépinière de ses conquêtes musclées se détachent Marlon Brando ou Errol Flynn. Marlon reconnaissait avoir couché avec un tas d'hommes, mais ne se considérait pas comme un homosexuel. Mais sans doute, ses partenaires, eux, l'étaient-ils.

Paru d'abord aux Etats-Unis, In Cold Blood a dépassé les grands tirages habituels. Selon Gerald Clarke, « la machine médiatique moderne revues, journaux, télévision, radio - se transforma en un orchestre géant qui ne jouait qu'un seul air : Truman Capote. Il fut le sujet de douze articles dans les grands magazines nationaux, de deux heures et demi d'émissions de radio et de reportage de presse. »

Par rapport au succès comparable de Bonjour tristesse (de Françoise Sagan), en 1954, le livre de Truman pose à bien plus de lecteurs, avec une forme plus tragique et plus intense, davantage d'interrogations :

celles-ci concernent la vie américaine, la condition humaine, la prison, la peine de mort, l'exécution cruellement ajournée qui redonne de vains espoirs aux condamnés. Le livre n'essaie pas d'interpréter la vie. Mais, par la fidélité du compte-rendu, ce "récit véridique" (non-fiction novel), livre ce que les naturalistes considéraient déjà comme une étude d'histoire sociale.

■ Truman Capote vu par Gérald Clarke, Editions Gallimard, Biographies, 1990, ISBN : 2070718492


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De Truman Capote : Entretiens - Un été indien

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