Ambiguïté fascinante chez Grünewald
Si Matthias Grünewald est célèbre pour son magistral retable d'Issenheim, il mériterait aussi de l'être pour les panneaux latéraux d'un retable démantelé [«retable Heller» du nom de son commanditaire]. Chaque panneau représente un saint en camaïeu de gris donnant l'illusion d'une sculpture.
Chaque peinture en grisaille ornait les volets fermés du retable, ce qui devait intensifier la vision des panneaux intérieurs – tout en couleur – le jour de leur ouverture.
Sur le panneau représenté dans cet article, il s'agit de saint Cyriaque occupé à exécuter une méthode issue d'un livre pour faire sortir par la bouche « le malin » dont une jeune fille est possédée.
La peinture de ce panneau agit comme un véritable trompe-l'œil, puisque elle fait songer à une sculpture dans sa niche de pierre : les doigts tordus de la jeune possédée, le livre, les drapés des habits avec leurs reflets satinés… concourent à penser à un motif sculpté dans la pierre.
Matthias Grünewald – « Saint Cyriaque » [panneau du retable Heller] – vers 1510
Huile sur bois, environ 99cm x 43cm, Städelsches Kunstinstitut – Francfort
Mais qu'en est-il des cheveux du saint ou des franges qui bordent sa chasuble qui n'ont que la couleur de la pierre ? Cheveux et franges que la sculpture ne saurait jamais rendre.
Dans cette ambiguïté fascinante, je vois la métamorphose d'une scène sculptée en une scène peinte, suggérant la toute proche délivrance de la jeune fille : ses cheveux de calcaire retrouvant, bientôt, leur ondulation naturelle et ses doigts de pierre, leur souplesse.