Lorenzaccio ou le retour du Proscrit, une nouvelle de Paul Morand (1925)
Dans l'étonnant récit « Lorenzaccio ou le retour du Proscrit » est contée la rentrée au Portugal d'un grand homme politique, hier exilé par une opposition triomphante. Grand seigneur, Tarquinio Gonçalves rentre dans ses biens.
Mais voilà que ses ennemis masqués, gênés par sa présence inquiétante, ont juré sa perte ; le vieux lion les tracasse.
Or, un soir, un jeune marin, une sorte de « Querelle de Brest », devine-t-on, a demandé la charité à Tarquinio. Dans sa tenue du torpilleur E87, Morand le dépeint comme un garçon du peuple « très jeune, des côtelettes à peine dessinées sur ses joues pâles, des dents de loup ». Gonçalves voit en lui «un de ces voyous flexibles et débauchés de la flotte qui, par leur mauvaise tenue et leur insolence, jouissent d'une autorité sans conteste».
Cédant à la demande du garçon, Gonçalves prend un billet dans son portefeuille et le met « d'un geste brusque, dans la poitrine du marin, issue d'un jersey très décolleté ».
A quelque temps de là, alors que, mordu d'ennui et de souvenirs, l'ex-proscrit se promène la nuit dans son jardin saturé de senteurs aromatiques, il s'avise d'une présence suspecte dans un buisson. Un homme sans doute, caché là pour l'attaquer, à qui il intime, soudain furieux : « Sortez, Monsieur ! »
Penaud, un automatique en main, c'est alors le marin en question qui sort de l'ombre. Décontenancé par le courage de celui qu'il voulait abattre, il échange avec lui un étrange dialogue : « Pourquoi m'avez-vous donné tant d'argent, l'autre soir ? »
Et Tarquinio Gonçalves répond : « Parce que tu es beau, avec tes bras blancs de criminel ingénu, parce que tu as dix-huit ans et la peau sans rides, et la figure phénicienne des pêcheurs. »
Et voilà l'homme d'Etat qui saisit le garçon à bras-le-corps, que leurs respirations se mêlent dans l'obscurité. L'embrassement dura. Puis il y eut un gémissement de lutteur terrassé, poussé par le plus jeune. « Moi, je vais te dire ce qu'il te faut », a proféré Tarquinio. Et longuement, « rompu à toutes les voluptés pénitentiaires et coloniales », écrit Morand, Gonçalves soumet celui qui a voulu l'assaillir, à qui, son plaisir dûment pris, il rendra son revolver aux balles intactes, en y ajoutant une rose.
On n'ignorait pas que les Années folles pouvaient aller assez loin dans l'audace. Mais on devine, à relire « L'Europe Galante », que Paul Morand serait allé encore plus loin, dans de telles histoires, si sa carrière diplomatique le lui avait permis.
■ in L'Europe Galante, Paul Morand, éditions Grasset, 1925 (et Le Livre de poche/Biblio, 2000, ISBN : 2253933252)