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Un été américain, Georges-Michel Sarotte

Publié le par Jean-Yves Alt

Lionel, un séduisant professeur parisien spécialiste de Henry James, est dépêché aux U.S.A. par sa mondaine maîtresse Véronique, afin de récupérer Paul, vingt printemps, le fils de celle-ci. Mais, dès son arrivée à Boston chez son confrère Bernard, Lionel se trouve plongé dans un climat homosexuel qu'il met du temps à réaliser – ce qui lui permet de jeter sur le monde gay un coup d'œil d'une objectivité amusée, un rien décalé.

Georges-Michel Sarotte joue superbement de la structure du roman de Henry James paru en 1903 : «Les Ambassadeurs». Mais les orientations sexuelles des personnages sont inversées dans «Un été américain», comme l'est le voyage décrit. Strether, le héros de James, découvrait l'Europe et Chad, le jeune homme qu'il venait chercher, aimait une femme plus âgée. Lionel, français, se détourne très vite de son projet : persuader le fils de sa maîtresse, Paul, de regagner la France. Lionel est fasciné par les États-Unis et devient l'allié de Paul, homosexuel, qui vit une belle passion avec Skip, un homme de l'âge de Lionel. Paul proclame son goût de la vie, l'urgence du plaisir, l'oubli de la morale et la mort de toute culpabilité. Skip et Paul c'est l'amour, exclusif côté Skip, volage côté Paul. Mais Paul a tous les dons : beau, sportif et musicien !

Lionel se souvient de Max, qu'il a aimé, sans trop le savoir, à dix-sept ans. Il a encore des souvenirs d'adolescence, lancinants, avec de jeunes garçons qui le mettent, par à-coups, sur une piste, bien qu'il fasse tout pour rester aveugle. Sa réticence est toujours séduite, mais de biais. Des garçons, américanisés et anti-traditionnalistes jusqu'au bout des ongles, ouvrent des interrogations en lui. Pourtant Lionel n'a rien à envier à ces jeunes Américains : il a le charme français et la santé américaine. Hugh le lui prouve en devenant son amant.

Ce qui est plaisant, dans «Un été américain», c'est la naïveté de Lionel, que Sarotte veut comme Candide : il découvre les habitudes, les audaces vestimentaires, les lieux de rencontre, le côté relax, relevant d'une nature qu'il croit nouvelle, de ceux qui ont réussi leur sortie du placard.

Lionel, devant cette réalité qui l'offusque et le ravit parfois, joue à être ce qu'il n'est pas, et à jouer la contradiction avec ce qu'il est, en refoulant pulsions et impulsions. Le tableau brossé par Sarotte de l'Amérique Gay des années 70/80 – où tous les espoirs étaient permis ! – ne laisse pas d'être piquant.

On y est. C'est vu, avec une vérité un peu fabriquée jusqu'à ce que le jeu s'efface devant les aveux de Bernard, de Jean-Yves, les confidences de Jimmy, de Hugh : tous ramènent le lecteur à la difficulté d'être.

— Il faut être soi-même. Il faut vivre selon ses désirs profonds, mettre sa vie en harmonie avec eux. On a tort de se leurrer. Peu importe ce que l'on est, il faut être soi-même jusqu'au bout. Paul a trouvé ici son identité, sa vraie voie, sa vraie vie. Il ne faut pas l'en arracher. Il faut le laisser vivre comme il veut. (p. 114)

Lionel se rend compte encore que Jean-Yves – avec sa hantise de la vraie virilité, son fantasme garçon-cuir, son désir de super-mecs, son goût des bars masos des bords de l'Hudson – représente tout ce qu'il fuit, peut-être tout ce qu'il a fui sa vie entière : l'homme-femme, le faux mâle, le plaqué-homme. Et si tout cet éclatement à la liberté cachait un vide, un gouffre ?

Lionel quitte l'Amérique, et son été révélateur, avec l'impression de sauver de soi le plus important pour son équilibre.

«Un été américain» est écrit au fil de la plume et, par son climat, sa malice, le double jeu des identités, fait songer au «Joyeux Garçon» d'Abel Hermant… jusqu'à ce que la chausse-trape du choix s'ouvre devant le héros, soudain décidé à regagner ses pénates françaises.

Roman euphorique qui ouvre ses chapitres sur la conscience du temps quand Lionel évite les mirages et se détourne des pièges : cette vie à cent à l'heure, cette quotidienneté de l'aventure ont leurs failles : un spécialiste de littérature, comme Lionel, sait qu'au bout de l'été surgit l'automne, l'heure des comptes... au bout d'une brève jeunesse se glisse la vieillesse... Etait-il suffisant de s'éclater ?

■ Un été américain, Georges-Michel Sarotte, éditions Persona, 1985, ISBN : 2903669260


Du même auteur : La romanesque

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