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La naissance interdite : stérilité, avortement... au Moyen-Âge, J-C Bologne

Publié le par Jean-Yves Alt

Combien de préjugés devons-nous abandonner en ce qui concerne le Moyen-Âge ? Nous avons reporté sur cette période, tous les tabous du XIXe siècle et de la première moitié du XXe. Habile manœuvre pour se donner bonne conscience et pour déplacer des contraintes obsédantes.

Dans son essai, Jean-Claude Bologne remet les pendules à l'heure. Remarquable étude fascinante par la richesse de sa documentation. Livre audacieux et courageux qui ose démontrer que la femme n'était pas aussi soumise à l'homme qu'on voudrait le croire, les médecins pas aussi ignorants que la légende le perpétue, les prêtres pas aussi timorés qu'ils le sont devenus et, surtout, la population pas aussi soumise à Dieu et à l'Eglise qu'il est coutumier de l'affirmer.

Bien sûr, les comportements sur des points aussi mystérieux que la naissance (le corps humain était mal connu et les descriptions des organes internes voguent souvent vers le domaine de la plus haute fantaisie... avec souvent des intuitions surprenantes de vérité) balancent entre une recherche pragmatique et l'engouement pour des pratiques frôlant la sorcellerie.

Il est vrai qu'au Moyen-Âge, l'enfance n'avait pas le prestige que notre société lui donne et la mort d'un enfant, volontaire et préméditée par sa propre mère, ne soulevait pas des châtiments définitifs. On tenait compte des mobiles et l'extrême pauvreté des familles était souvent prise en compte. N'y avait-il pas aussi un consensus qui permettait aux mères de famille nombreuse, aux femmes soupçonnées d'adultère, aux prostituées dont c'était un devoir d'être « stériles », une manière bien rapide de faire disparaître l'enfant mort-né (ou né puis mort) dans la fosse d'aisance. On savait, on se taisait. Les moyens contraceptifs existaient, on en parlait, de bouche à oreille, certes, mais aussi dans de doctes études de médecins qui prenaient la précaution d'indiquer les moyens contraceptifs sous couvert de les éviter.

Subtile diatribe qui montre que les impératifs personnels (misère, peur du scandale...) se glissent toujours dans la morale et la distordent sinon la contournent. Potions, mouvements de conjuration, étranges stérilets ou pessaires, condoms, tout se mélangeait : des croyances les plus absurdes aux techniques éprouvées par la suite.

La stérilité était aussi combattue et si l'on prouvait que l'homme ne « contentait » pas sa femme, celle-ci pouvait obtenir le divorce et parfois se remarier illico avec l'amant caché qui lui avait permis de perdre sa virginité.

Dans les villes d'eaux, certains prêtres magiciens avaient le don de redonner la fécondité... mais les séjours dans ces villes n'étaient-ils pas l'occasion d'adultères clandestins et certains prêtres ne mettaient-ils pas la main à la pâte ? Prêtres omniprésents qui savaient a contrario, que la contraception les laissait maîtres de connaître la chair sans endurer l'opprobre.

Cet essai est une magnifique analyse du rapport de l'homme médiéval à son corps, au plaisir, à l'amour (qui n'avait pas pour unique but la procréation), un subtil témoignage sur la place de la femme dans la société. Il révèle surtout la profusion de comportements, la complexité de l'individu au Moyen-Âge, son amour de la jouissance, en opposition à une religion qui raidit ses dogmes et un pouvoir qui alourdit ses lois pour lutter contre l'insuffisance démographique.

■ La naissance interdite : stérilité, avortement... au M-A, J-C Bologne, éditions Olivier Orban, 1988, ISBN : 2855654343


Du même auteur : Histoire de la pudeur

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S
Semble très intéressant. Merci !
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