Proust, Jean-Yves Tadié
Marcel Proust est le plus grand écrivain du XXe siècle. Son œuvre majeure, «A la recherche du temps perdu», à la fois inachevée et posthume, est colossale : trois mille pages. Les articles, critiques, livres, biographies et autres études consacrées depuis 1920 à l'écrivain et à son œuvre sont tout aussi volumineux. Comme l'indique Jean-Yves Tadié, «aucun écrivain du XXe siècle n'a suscité une telle biographie».
C'est pour rendre la mesure, à la fois, de l'œuvre de Marcel Proust et des commentaires qu'elle a suscités que Jean-Yves Tadié donne un dossier où l'érudition le dispute à la clairvoyance. Car dans son esprit, il ne s'agit pas d'établir une nomenclature indigeste des ouvrages de et sur Proust mais bien plutôt de dresser un panorama critique d'une œuvre et de ses commentaires. L'économie du livre permet au lecteur d'appréhender de multiples manières l'œuvre de Proust sans jamais s'égarer dans les méandres de textes aussi nombreux que divers. Après avoir présenté de manière générale, mais sans sacrifier au simplisme, les ressorts de l'écriture proustienne, Jean-Yves Tadié propose une analyse des œuvres principales, manière de « carte aérienne de l'œuvre de Proust », avant de consacrer de longues pages à un bilan critique et de terminer sur des points de repères biographiques et bibliographiques.
Analysant la genèse et la structure de l'œuvre de Marcel Proust, Jean-Yves Tadié n'hésite pas à faire la part des idées reçues et des profondes originalités. Aucun désir chez lui de solliciter l'œuvre pour de brillantes démonstrations comme ce fut souvent le cas. Jean-Yves Tadié est un admirateur incontestable de Proust mais son jugement est sérieux, sans pour cela manquer parfois de singularité. Ainsi, à ceux qui reprochent à Marcel Proust son inintérêt supposé pour l'histoire, l'auteur indique qu'il montre « non les événements historiques eux-mêmes, mais l'action de ceux-ci sur ses personnages », en particulier à propos de l'affaire Dreyfus et de la Première guerre mondiale.
Si « La recherche » est bien un récit à personnages et un récit social, c'est aussi un roman comique (« une immense satire, des autres et de soi ») et tragique, un roman d'aventures autant que poétique, onirique (« une allégorie de la création du monde et de la création littéraire ») et un livre d'images. La dimension érotique, bien sûr, est fondamentale, en particulier dans Sodome et Gomorrhe, Sodome incarnée dans Charlus, « entouré d'un peuple de mauvais garçons » employant, « pour ses plaisirs masochistes, des soldats et des bouchers », et Gomorrhe dans Albertine, Morel faisant la liaison entre les deux. Au plan de l'écriture également, Jean-Yves Tadié montre bien que Proust pratique tous les styles, et pas seulement « la longue phrase analytique ou lyrique à laquelle on identifie le plus souvent son écriture ».
L'examen de l'accueil réservé à Proust par la presse et par les écrivains ne manque pas d'intérêt. Malgré le Goncourt pour « A l'ombre des jeunes filles en fleurs » en 1919, l'écrivain est d'abord accueilli très froidement et ce n'est qu'à la veille de sa mort que Proust « est lu et admis comme un classique ».
Chez les écrivains, tous les cas de figure se retrouvent : l'hostilité de Claudel voisine avec l'amitié de Morand, Cocteau ou Mauriac, les réquisitoires de Bernanos et de Sartre font pendant aux louanges parfois réticentes de Gide et d'Alain. Dans son panorama de la critique proustienne, Jean-Yves Tadié tente une « esquisse de bibliographie commentée » qui ne va pas sans une certaine saveur, en particulier sur l'apport de la psychanalyse à la connaissance de l'œuvre de Proust.
Il est difficile, sinon impossible, de rendre compte avec toute la justice souhaitable d'un livre aussi riche. Pour conclure, il faut saluer la simplicité d'écriture, l'humilité de pensée et la passion que l'auteur communique à chaque page et qui ne peut qu'inciter à replonger dans l'œuvre de Proust.
■ Proust, Jean-Yves Tadié, Editions Belfond/Les dossiers, 1983, ISBN : 2714416292