Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Une femme en soi, Michel del Castillo

Publié le par Jean-Yves Alt

L'homme occidental n'a de pleine existence que dans sa quête d'une femme imaginaire qu'il cherche en vain à rejoindre au fond de lui. Glisserait-il trop vite dans la mort s'il ne consacrait sa vie à recréer cette image de tous les amours, de tous les sacrifices, de toutes les trahisons ou de tous les rejets, la mère bien sûr, partenaire obstinée d'un couple qu'il s'entête à reconstruire ou à détruire.

« Une femme en soi » allie la pérennité du mythe et l'originalité de son évocation.

Une femme à jamais disparue et dont la vérité reste insondable hante les deux personnages masculins : le narrateur, Christian, la quarantaine désabusée d'un homme que sa femme vient de quitter, et le grand réalisateur Jean-Pierre Barjac dont il devient l'assistant. Pendant dix mois, ils s'isolent, à la recherche de Serafina Perduch, la mère du cinéaste dans une « certaine » réalité, la mère de Pablo dans le film.

Le lecteur assiste au processus de résurrection à travers les images suscitées par le scénario et les documents consultés, dont les films antérieurs de Barjac qui, comme tous les grands du cinéma, filme inlassablement la fiction de son enfance.

Qui est Serafina Perduch, pianiste espagnole qui, déstabilisée par le fascisme, abandonne son fils Pablo et le retrouve treize ans après ? Qui est cette femme hors de ce corps amoureux de la vie que regarde, affamée, la caméra, et que les gros plans et les fondus enchaînés enferment dans son mystère ? Qui est-elle, déesse ou terrienne, sinon l'incarnation de la nostalgie d'une enfance et du désastre de la guerre : « Tout personnage porte avec lui... des origines mythiques, des filiations et des parentés, un réseau d'influences, un climat et, même, une lumière. »

Est-ce le portrait d'une mère réhabilitée ? D'un être différent et jumeau, enfoui au plus profond de la chair de l'homme selon la citation de la bible qui fait de la femme une partie extraite de l'homme ?

Michel del Castillo se joue en virtuose d'un thème que guettent tous les pièges. Il raconte certes, mais « montre » aussi les séquences d'un film qui met en scène... un écrivain racontant l'histoire d'un fils qui retrouve sa mère. Serafina devient ainsi une remarquable mise en abime de l'œuvre d'art, obsédante image qui se joue du temps et de l'espace, glisse de la jeunesse à la vieillesse mais s'immobilise toujours sur une vision éternelle (Fina rit et ses dents sont si belles !), rompant le dérisoire de l'enquête : le créateur préfère « voir » que « savoir ». La quête de Pablo est de revivre inlassablement la blessure de l'enfant, le bonheur et son envers, la scène primale quand la mère abandonne le fils et lui insuffle ainsi l'absolu du désespoir, la déchirure capitale qu'il passera sa vie à écrire ou à filmer.

Michel del Castillo enrichit son roman de deux investigations majeures : il brosse en toile de fond les aspects insolites du nazisme et la dégradation de l'être humain soumis à la peur ; il évoque avec ferveur la splendeur du cinéma, ses rites, sa mythologie, l'implacable innovation qu'est le septième art dans la « matérialisation » de la mémoire, la visualisation du mouvement alterné de la douleur et de la joie.

Reste un personnage tragique dans le réel : l'actrice, belle et célèbre femme du metteur en scène, qui noie dans un alcoolisme honteux le dénuement d'être l'écran vide dont s'empare son mari pour donner existence à la torture de ses propres rêves.

« Une femme en soi » est un récit grave enraciné dans la légende chrétienne. Le portrait cruel et exalté de la mère qui berce, souveraine, le corps assassiné de l'homme qu'elle a initié à la « passion morbide, comme l'est toute passion authentique ».

■ Une femme en soi, Michel del Castillo, Editions du Seuil, 1991, ISBN : 202013523X


Du même auteur : La nuit du décret - Le démon de l'oubli - Mort d'un poète - Dictionnaire amoureux de l’Espagne - Le faiseur de rêves (Tome 1 des Aveux interdits)

Commenter cet article