Écritures « gays » par Bruno Vercier
Une même évolution caractérise l'écriture homosexuelle. Ne pas adopter une perspective historique pour en parler paraît difficile : l'épidémie du sida, survenue à la fin des années 1970, a bouleversé les conditions de vie de tout un groupe d'écrivains qui, au-delà d'une affirmation propre à la légitimité de leur choix sexuel, se chargent de dire le fléau qui frappe la communauté gay.
Ce peut être avec la gravité de Corps à corps : journal du sida (1987) d'Alain-Emmanuel Dreuilhe ; l'humour grinçant du dramaturge Copi dans Une visite inopportune (1988) ; l'âpreté sans concession de Guy Hocquenghem qui se tourne vers la fiction à partir de 1980 (La Colère de l'agneau, 1986) et combine une peinture minutieuse de la dégradation de son état physique à une relecture de la Genèse (Eve, 1987) ; ou encore la nostalgie de Jean-Noël Pancrazi, évoquant dans Les Quartiers d'hiver (1990) la fin d'un mode de vie (homosexuels vieillissants, jeunes gens frappés par l'épidémie, vieilles femmes du monde du spectacle).
Le cynisme nihiliste frappe aussi certains écrivains, comme Cyril Collard, dont Les Nuits fauves (1989, porté au cinéma par l'écrivain avant sa mort) s'abandonnent aux plaisirs mortifères du sexe et de la drogue.
Ces livres, auxquels il faudrait associer ceux plus connus d'Hervé Guibert, font effet de littérature communautaire. Un chant diffus de deuil, de révolte, de compassion envahit jusqu'à la fin des années 1990 le champ de la littérature des homosexuels, qui ne se résout cependant pas à n'être qu'une « littérature homosexuelle » : affronter la mort est une expérience humaine plus générale, qu'il s'agisse de voir la sienne approcher (la plupart des écrivains mentionnés, à l'exception de Pancrazi, sont morts du sida, comme les dramaturges Koltès ou Lagarce), ou d'affronter celle de l'être aimé (Christian Giudicelli, Celui qui s'en va, 1996 ; Yves Navarre, Ce sont amis que vent emporte, 1991 ; Philippe Besson, Son frère, 2001).
Bruno Vercier
in La littérature française au présent : Héritage, modernité, mutations, de Dominique Viart et Bruno Vercier, éditions Bordas, collection La Bibliothèque Bordas, 511 pages, 2006, ISBN : 2047299527, chapitre « Littérature et « communautés », page 331