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A ceux qui l'ont aimé, Michel Manière

Publié le par Jean-Yves Alt

Peut-on raconter la mort de l'ami ? Peut-on écrire la douleur quand, immense et brûlante, elle déchire les tripes ? C'est l'atroce pari gagné par Michel Manière dans un livre à la mémoire de son amant mort du sida.

Michel Manière a construit son récit en fragments, revenant inlassablement sur ces heures hallucinées qu'il n'est jamais sûr d'avoir bien enregistrées, vérifiant sans cesse un passé pour toujours évanoui.

- De l'ami, Michel Manière raconte les derniers jours, sous forme de journal, constat dur comme un scalpel.

- De l'ami, il dit aussi les phrases, les gestes, les sursauts du corps, cette ultime danse sacrée de la vie face au soleil couchant.

A partir des derniers jours de l'ami, Michel Manière invente une fiction comme si l'imaginaire nous soulageait un peu de la trop brutale cruauté de la mort. "A ceux qui l'ont aimé" est un texte du ressassement, un mouvement en spirale vers la mort, comme ces visites au cimetière où le narrateur traque la vision charnelle de l'aimé.

L'ami est jeune, grand, maintenant maigre et épuisé. Il a été fort et beau. Michel Manière n'a pas élaboré son récit à partir d'un cas exceptionnel.

L'ami est soigné avec vigilance par les infirmières et les médecins. Le père de l'ami prend soin de son fils, affronte avec lucidité et courage le virus qui détruit son enfant. La mère est là, couche dans la chambre du moribond, éponge son front, éprouve de l'affection pour le compagnon de son fils. La sœur, du malade, sa belle-mère (son père s'est remarié), tous sont présents et fiables.

Ils entretiennent avec le narrateur des relations de sympathie, d'estime, de confiance.

Ce n'est donc pas l'aspect social et moral de la maladie, les réactions qu'elle suscite vis-à-vis de l'homosexualité, qui intéressent Michel Manière, mais sa part profonde, intime, la déchéance du corps et la conscience progressive de la mort chez le malade et son amant. Jusqu'à ne rien dire des contingences habituelles : travail, ancienne vie commune. Juste la part matérielle de l'existence liée aux derniers mois de la maladie.

Le récit est d'autant plus douloureux que le lecteur ne peut pas détourner son regard d'un quotidien intolérable.

Ce livre sur une vie qui s'en va est indirectement un livre qui ne parle que de l'amour. Un amour homosexuel... mais cela fait-il une quelconque différence, quand l'autre guette, impuissant, les progrès d'un mal irréversible ?

■ A ceux qui l'ont aimé, Michel Manière, Editions P.O.L., 1992, ISBN : 2867442591


Du même auteur :

La fatalité célibataire : Trois histoires exemplaires plus une

Le droit chemin

Le sexe d'un ange

Les nuits parfumées du petit Paul

Du côté du petit frère

Parfois, dans les familles

 

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