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Moïra, Julien Green (1950)

Publié le par Jean-Yves Alt

Le démon de la pureté

ou « Tout est pur aux purs - sauf eux-mêmes. »

Frais émoulu de ses études secondaires, Joseph Day, jeune homme de dix-neuf ans, débarque en Virginie pour parfaire ses connaissances en lettres classiques à l'université. Venu du Sud, cher à l'auteur, avec la seule ambition de pouvoir lire dans le texte le Nouveau Testament, le bel adolescent au teint roux suscite autour de lui des remous de convoitise et de violence.

La générosité de ses comparses l'irrite et l'écœure, mais un étudiant, le mystérieux Bruce Praileau, trouve grâce à ses yeux. A la suite d'une blessure d'amour propre, il se bat avec lui : étrange combat, qui pourrait servir d'emblème à tout le roman, dans lequel on ne sait ce qui l'emporte de la violence ou du désir.

Blessé dans sa chair par tout ce que son âme a rêvé, ce jeune puritain voue à la sexualité une haine farouche, une rage destructrice :

« Je hais l'instinct sexuel (...) Nous sommes conçus dans une crise de démence. »

Chevauché par le démon de la pureté, Joseph provoque par son fanatisme une succession de malheurs. Il y a d'abord le suicide de Simon Demuth, causé par son mépris et son aveuglement à l'égard de sentiments que son extrême pudeur lui interdit de concevoir.

Enfin il y a Moïra, cette jeune fille délurée à qui aucun garçon ne résiste, en qui il voit la grande prostituée de l'Apocalypse.

Et cependant, moins piégé par les circonstances que par les dédales de sa propre psyché, Joseph finira par succomber aux charmes délétères de la jeune fille, qu'il tuera.

Loin de ces tourments d'un autre âge, ces affres catholiques pourraient sembler bien surannées. Il n'en est rien. Cela tient tout d'abord à l'extraordinaire talent de conteur de Julien Green et à la puissance d'envoûtement de son récit qui obéit à la logique somnambulique du cauchemar.

■ Moïra, Julien Green (1950), Editions du Seuil, 1989, ISBN : 2020099675


Du même auteur : Frère François - L'autre sommeil - Histoires de vertige - L'expatrié - Epaves - Villes - Journal de voyage 1920-1984 - L’arc-en-ciel : journal 1981-1984

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J
« Après tant de romans improvisés où l’on a trop souvent l’impression du travail bâclé et du premier jet envoyé à l’imprimerie, comme si c’était aujourd’hui l’ébauche et le brouillon qui importaient plus que l’oeuvre achevée, c’est une joie de se trouver enfin devant la maîtrise d’un écrivain de grande classe comme M. Julien Green, que sa remarquable Moïra vient de placer au premier rang. (…)<br /> Dans une petite ville universitaire d’Amérique, le jeune Joseph Day est venu prendre pension pour faire au collège ses humanités. C’est un garçon de la campagne, fils de paysans, ignorant du monde, ne sachant que la Bible, nourri et bardé de ses interdits, obsédé par l’importance capitale du péché et par la nécessité du salut (…) ; au physique fort comme un Turc, avec des mains énormes d’étrangleur, une âme naïve et violente, et des cheveux couleur de flamme. Il a suffi à M. Julien Green des vingt lignes de sa première page pour camper de biais l’étrange et inquiétant personnage (…). Le péché pour lui sera Moïra, une fille crapuleuse dont il occupe la chambre et le lit dans la pension où il habite. » <br /> Le Monde, Emile Henriot, 12 juillet 1950
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