Les belles manières, un film de Jean-Claude Guiguet (1978)
Camille, 22 ans – merveilleusement interprété par Emmanuel Lemoine – arrive à Paris. Depuis qu'il a quitté l'école et sa famille, il a surtout connu le monde du travail itinérant.
Pour changer et voir la grande ville, il répond à une offre d'emploi dans la capitale. Son nouvel employeur, Hélène, est une femme mûre d'une grande séduction (Hélène Surgère) : Camille doit servir les repas de son fils Pierre (Hervé Duhamel), neurasthénique, qui vit reclus dans sa chambre.
Quand Camille répond à l'annonce d'Hélène, pour devenir le domestique d'une femme du monde, il est paumé. Il quitte sa province, dit adieu à des parents qui ne le comprennent pas et, chez cette personne élégante et lointaine, il s'ouvre à un nouveau mode de vie… ou plus exactement, on y croit, au début. Tout l'étonne de cette femme, de son intérieur raffiné ; surtout le fils, qui reste enfermé dans sa chambre sans jamais sortir, parce qu'il a peur des gens dans la rue.
Sa patronne est à la fois bonne et indifférente. Il se demande peut-être ce qu'elle attend de lui : une coucherie ? Non. Même la nuit où Camille a été attaqué par des voyous et où elle l'a soigné en le faisant mettre nu, elle n'a pas de geste de désir pour lui : la scène est très touchante, la beauté de Camille, gentil et très viril, y est pour beaucoup.
Camille se pelotonne comme un chat dans cette vie nouvelle, ce havre, ce confort. Et pourtant, au fond, il ne doit pas les aimer, ces choses, car ce n'est pas là son monde. Chez cette femme, il semble aussi perdu que lorsqu'il était au chômage.
Que peut-il reprocher à celle qui l'a accueilli ? Rien, sans doute. Ils sont d'espèce différente. Ils n'ont pas la même histoire. Le fossé qui les sépare ne peut être comblé.
Quand elle part pour trois semaines, continuant sa vie de mondaine, Camille, si doux, si discipliné, a un geste qui apparaît comme monstrueux : il met le feu à la lingerie. La pièce même où sa bienfaitrice l'a soigné.
On le retrouve en prison. Elle voudra encore l'aider, et verra le juge. Mais Camille est fermé, il refuse tout et jette dans les toilettes de sa cellule la boîte de friandises qu'elle lui a apportée.
Une nuit, un de ses codétenus, écartant brusquement le drap sur la nudité du jeune homme, le contraint. Les larmes lui montent aux yeux. Il subit. Le lendemain, on le retrouve pendu dans sa cellule.
Camille s'est-il tué parce que le détenu lui a imposé sa loi, comme ça se voit, dans les prisons ? Je ne le pense pas. Son drame est ailleurs. C'est un garçon qui ne sait pas se mettre en scène. C'est à la fois sa force et sa vulnérabilité. C'est cela qui est tragique.
Et s'il n'y avait pas de place pour des êtres comme lui ?