Le Pont du Gard d'Hubert Robert
Cet énorme aqueduc, avec sa triple rangée d'arcades et sa masse cyclopéenne, était difficile à mettre en page ; ce qui a conduit Hubert Robert à préférer un format carré, d'ordinaire incommode, mais qui permettait d'alléger le tableau grâce à un ciel très haut.
Ce pont gigantesque, ou plutôt cette superposition de ponts, risquait d'obstruer le tableau : aussi Hubert Robert a-t-il eu soin de le reculer et de lui faire traverser la toile en biais. Pour rendre cependant cette impression de grandeur que doit donner l'antique colosse, le peintre a eu recourt à une disposition « géométrique » des terrains et des nuages.
Si l'on prolonge vers la droite la ligne de la berge inférieure, les trois chaussées du pont et le contour supérieur des nuages qui, de gauche à droite, semblent accompagner l'aqueduc, on constate que toutes ces lignes viennent se couper en un même point, assez éloigné, et d'où elles divergent comme les branches d'un éventail.
Le Pont du Gard se trouve ainsi compris entre deux obliques qui s'écartent de plus en plus à mesure que les arcades grandissent. L'illusion de la perspective se trouve donc singulièrement renforcée, sans grossissement artificiel des arches les plus proches.
D'autre part, à gauche, la découpe générale des nuages reproduit, en l'inversant, la configuration anguleuse des berges. Sur la droite, des nuées floconneuses montent vers l'angle et fournissent une parallèle aérienne qui allège opportunément la masse compacte du monticule situé au-dessous. Ainsi s'opère dans le ciel, avec des variations, la synthèse des lignes essentielles du sol.
Les personnages animent le paysage, répartis en groupes plus ou moins éloignés : ils donnent l'échelle du monument.
A gauche, le pont se détache en clair sur des nuées sombres, alors qu'à droite il découpe ses arcades obscures sur un ciel lumineux. En outre, groupes et barques jalonnent la décroissance des valeurs et donnent de la profondeur au tableau vers le centre gauche.
Hubert Robert – Le Pont du Gard – 1787
Huile sur toile, 242cm x 242cm, Musée du Louvre, Paris
Le coloris rougeoyant et cuivré, avivé par les nuées plombées qui montent à l'horizon, soutient l'opposition des lumières et des ombres : la coloration du pont et celle du ciel varient en sens inverse.
La lumière flamboyante, la poussière que le vent soulève annoncent l'orage proche dans la pourpre glorieuse du couchant. Un grand souffle dramatique anime soudain le paysage et prête un caractère héroïque à la robuste vétusté de l'œuvre que Rome a construite pour triompher des siècles.
Nous voici bien loin de la paix subtile du Ponte Rotto.