Enfance à Guilin, Bai Xianyong
Il n'y a rien de plus difficile, sans doute, que de mettre en scène l'enfance. Beaucoup n'évitent pas la mièvrerie, ou encore l'attendrissement sur soi, pas nécessairement contagieux.
Tel n'est pas le cas de Bai Xianyong, qui, dans un très beau récit d'inspiration autobiographique, conte l'éducation sentimentale d'un tout jeune enfant.
Insouciant et capricieux, Rong Er appartient à un milieu aisé, avec son cortège de domestiques, ses réceptions et ses fêtes.
L'arrivée, dans cette famille chinoise, d'une nouvelle bonne, la belle et mystérieuse Jade, va bouleverser de fond en comble l'existence jusque-là paisible de l'enfant. Dès lors, cette jeune veuve enlève à Rong Er tous ses plaisirs d'enfant paisible. Ses deux pendants d'opale, brillant de part et d'autre de son visage pâle, fascinent le jeune Chinois héros de cette nouvelle.
Ce petit récit, tout en pudeur et en subtilité, vaut avant tout par sa justesse de ton, la fraîche cruauté de ses couleurs. Il vaut moins pour son intrigue prévisible, que pour l'atmosphère dans laquelle il baigne, empreinte à la fois de réalisme et de poésie. Et cette poésie émane en particulier de la sensualité qui irise portraits et descriptions : l'auteur sait retrouver dans sa mémoire et restaurer avec naturel et vraisemblance la découverte du monde adulte par un enfant ; il restitue, comme s'il s'agissait des nôtres, le premier sentiment d'identification, la première rencontre avec la beauté, la sensualité, le désir.
La beauté s'exprime, par exemple, dans une jambe qu'affine et galbe un élégant escarpin ; et blotti sous les couvertures, Rong Er savoure le plaisir des grasses matinées, ou aime à caresser des yeux la nacre d'une dentition parfaite, le duvet d'une moustache naissante ou "la pilosité des hommes à rouflaquettes".
L'auteur excelle également à décrire la condition tragique d'un enfant, condamné à être le témoin impuissant et un tantinet voyeur des drames adultes.
■ Enfance à Guilin, Bai Xianyong, Éditions Alinéa, 1987, ISBN : 2904631313