L'enfant au masculin, Tony Duvert
Lewis Carroll écrivit, dans une lettre : « J'aime tous les enfants, sauf les petits garçons. »
Fils aîné, Lewis Carroll eut un père, une mère, deux frères et huit sœurs. Cette famille de treize personnes me fait rêver. J'admire l'utérus de madame Dogson. C'est autre chose que les mères d'aujourd'hui, qui n'ont que « l'Enfant » à la bouche mais qui en pondent à peine un virgule huit dans leur vie. Est-ce parce qu'elles en font si peu qu'elles les ont sacralisés ?
A moi, pédophile, on me reproche d'être jaloux de l'utérus des dames. C'est vrai. Croyez-vous que si j'en avais un je me contenterais de pondre un enfant virgule huit? Madame Dogson, au moins, savait ce que mère veut dire. J'aurais été une mère pareille.
Non, je ne suis pas nataliste : mais, quand un organe vient à servir aussi peu que celui-là aujourd'hui, on n'en fait pas un drapeau de la féminitude. – Et peu importe, ce n'est pas mon sujet ici.
Mais pourquoi Lewis Carroll n'aimait-il pas les petits garçons ? On n'ose pas croire que son milieu familial (trois mâles, neuf femelles) ait pu l'influencer. D'après les bons auteurs, ça aurait dû plutôt le rendre pédéraste.
Quand je lis « La Chasse au snark », j'ai mon idée sur le snark, cet animal inventé. Qui poursuit-on avec des dés à coudre, des fourchettes, de l'espoir et du soin ? Pour qui les sourires, le savon ? Pour qui la menace des actions du chemin de fer (entendez par là : le travail, l'argent, le devoir d'être adulte) ?
C'est l'enfant, bien sûr. La devinette est transparente. Et le poème de L.Carroll nous enseigne qu'il existe des snarks particuliers, abominables. Des enfants spéciaux. Le nœud du drame absurde que Lewis Carroll sous-titre an agony.
Qui est ce terrible snark, le boojum ? Cet ennemi des adultes qui le pourchassent ? Cette proie qui se change en danger mortel ? L'enfant au masculin donne peut-être une réponse.
Tony Duvert
in L'enfant au masculin, Editions de Minuit, 1980, ISBN : 2707303216, page 10