Vivre en « singeant » les autres ou en se cachant
« Il en faut ridiculement peu pour devenir visible. Juha est prêt à aller beaucoup plus loin que ça.
Il ne va jamais cesser de marcher, parce que de tous, c'est lui qui arrivera le plus loin. […]
Instinctivement, il devine aussi cette condition sine qua non : pour que certains l'aiment, d'autres doivent le haïr. Pour quelque raison obscure, l'un ne semble pas aller sans l'autre.
C'est étrange. Toute sa vie, il a machinalement fait ce que d'autres faisaient.
Regardé autour de lui et imité.
Des mots, des gestes, des intonations, des opinions - tel un caméléon il s'est adapté à l'entourage.
Il a fait le singe et il a singé.
Essayé de devenir l'un des babouins immondes du troupeau qui se branlent sur le rocher des singes.
Ce faisant, il s'est anéanti lui-même.
Maintenant il découvre cette chose simple - celui qui s'anéantit, celui qui se laisse anéantir, finit effectivement anéanti. Il n'existe pas.
Juha avait cessé d'exister, ce qui avait certes empêché les autres de le frapper, c'est vrai qu'on ne peut pas frapper l'air, on ne peut pas fouetter le vent ! Il avait fini par quitter les toilettes où il avait pris l'habitude de s'enfermer pendant les récréations et il était devenu invisible.
Il est resté invisible depuis. »
Jonas Gardell
■ In "Un ovni entre en scène", Editions Gaïa, Collection Taille unique, octobre 2005, ISBN : 2847200622, page 266