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Race d'Ep, ou un siècle d'homosexualité mis en images par Lionel Soukaz sur un scénario de Guy Hocquenghem (1979)

Publié le par Jean-Yves Alt

Ou une histoire des pédés sous forme de fragments arrachés au refoulement collectif

Race d'Ep a le mérite de restituer la passion des pédés pour la photo et le cinéma, jointe à l'art de la collection, des compositions mythologiques du baron Gloeden avec ses jeunes siciliens aux curiosités de cabinet du Docteur Hirschfeld.

Le parti-pris de retracer UNE histoire d'un siècle de l'homosexualité rend difficile la critique. Pourtant le film me semble relativement bâclé même en tenant compte des très modestes moyens à sa réalisation.

■ La première partie, intitulée « Le temps de la pose », semble la mieux réussie. Un certain humour y côtoie un certain érotisme et c'est plutôt bien. Le baron Gloeden, incarné avec malice par René Shérer, continue de vouloir suspendre la grâce fugitive de ses jeunes modèles. Ceux-là n'auraient pas à craindre l'œil d'un photographe, premier et seul témoin de leur fantaisie. Ces photographies n'intéressaient alors ni la police ni les touristes, mais de distingués amateurs.

■ La seconde partie (« Le troisième sexe, des années folles à l'extermination ») consacrée à Magnus Hirschfeld commence à décevoir. Les pédés ont pourtant dû délaisser le portrait mythologique et exotique pour accumuler les preuves de leur légitime différence. Les vignettes scientistes du Docteur Hirschfeld espéraient démontrer, comme le mouvement allemand, qu'il est une différence innocente, sans danger, inscrite dans leur corps, appelée homosexualité. Documents authentiques ou fiction démontrent parfaitement le drame de ces années folles. Les spécificités d'Hirschfeld se changent en monstruosités torturées par les nazis, les jeunes scouts des mouvements de jeunesse homophiles virent au SS. L'homosexualité est devenue une race à exterminer. Cette tentative de reconstitution en fiction de l'entreprise et de l'aventure du célèbre médecin allemand est pour le moins triviale. Heureusement quelques beaux documents de bibliothèques filmés et un commentaire accrocheur bien qu'un peu concis produisent le passage le plus intéressant de l'ensemble. Ensuite les choses se gâtent.

■ La troisième partie (« Sweet sixteen in the Sixties ») consacrée aux années 60 se réduit à l'explosion fascinante de la pornographie. Le monde se libère, on oublie les misère du passé. Pourtant Guy Hocquenghem avait pris soin de conclure les années 30 en insistant sur la nécessité de ne pas oublier la cruauté de l'histoire envers les Races d'Ep.

■ Les années 70 s'envolent. Paris 1979. « Royal Opéra », dernier bar des oiseaux de nuit, quatrième et dernière séquence de ces fragments d'histoire. Cette décennie « 70 » qui précisément outre-Atlantique, et plus tard en Europe, voît naître la seconde vague du mouvement homosexuel, ne laisse aucune trace dans la mémoire singulière des réalisateurs. Guy Hocquenghem oublie aisément sa propre biographie qui l'associe au FHAR français de 1971.

On ne pouvait pas s'attendre de la part de Lionnel Soukaz et de Guy Hocqùenghem à une histoire de la Race d'Ep polie, sage et rationnelle. Tant mieux ! Mais j'attendais l'irruption du désir dans l'Histoire. Et là, quelle déception devant des images froides, glacées et glaciales.

Le point fort de ce film : ce voyage des années folles à l'extermination, qui devrait guérir de toute illusion sur le libéralisme d'aujourd’hui.


Du même réalisateur : Ixe - Maman que man

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