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L'homosexualité chez Paul Claudel (1/2) : Tête d’or

Publié le par Jean-Yves Alt

Dans les écrits de Paul Claudel, on trouve tout et le contraire de tout : d'un côté, on découvre un catholique convaincu, qui ne tolère aucune faiblesse, aucun manquement à la Loi divine, apostolique et romaine, et de l'autre, un écrivain sensualiste dont l'œuvre est nourrie essentiellement d'amours illicites – illicites devant Dieu – puisque l'homosexualité, l'inceste, l'adultère y sont représentés en grande part.

D'un côté, toujours, on a un bon père de famille, marié sur le tard à trente-sept ans, diplomate, bourgeois boursicoteur, et de l'autre, un anarchiste sauvage, copie conforme de son maître en littérature, Arthur Rimbaud, et sa sœur Camille, l'aliénée.

On pourrait continuer comme ça le jeu des oppositions... Difficile, dans ces conditions, de faire le tour d'un tel personnage.

L'homosexualité est présente dans un de ses premiers drames, « Tête d'or » (1), écrit à vingt ans. L'homosexualité y est présente, dans la première moitié. « Tête d'or », pièce écrite en 1889, plus d'un demi-siècle avant le théâtre de Jean Genet, est une des pièces les plus « folles » du répertoire national. A tel point que Claudel s'est cru obligé, par la suite, d'en réécrire deux autres versions : de faire jouer la gomme de l'autocensure surtout.

La pièce commence par la rencontre de Simon Agnel, dit « Tête d'or », et de Cébès. Simon, un homme jeune, est en train d'enterrer sa femme, au crépuscule, en plein champ, lorsque survient Cébès, un bel adolescent. Aussitôt c'est le coup de foudre entre les deux hommes. Commence alors une relation amoureuse, passionnelle, entre les deux protagonistes. Plus à la manière antique, éraste et éromène, qu'à la manière proprement chrétienne : « Tu aimeras ton frère comme toi-même. » Par la suite, tandis que Simon Agnel va combattre l'ennemi dans le Caucase et se couvrir de gloire, Cébès se meurt d'amour, au sens propre et figuré du terme, pour son vaillant et vigoureux ami. Le retour du héros donne lieu à une scène sublime, interminable, durant laquelle les deux héros ont juste le temps de se dire leur flamme avant que Cébès n'expire dans les bras de Simon :

« Cébès. — Mère, mon frère ! ô ma nourrice aux côtes cuirassées !

Tête d'Or. — Quoi donc ?

Cébès. — Je n'ai plus le temps ! écoute-moi ! cela m'est égal ! je ne me cacherai pas !

Tête d'Or. — Parle, poussin !

Cébès. - Je t'aime, Tête d'Or !

Tête d'Or. — Tu m'aimes ? […]

Cébès. — Voici ce qu'il faut penser :

Comment faire tenir dans une seule minute un siècle d'embrassements ?

Songe que je suis funèbre, et que cela augmente ton cœur ! Songe que nous sommes

Comme deux amants qui, un seul moment avant jamais, se débaisent. […]

Tête d'Or. — O nos noces rompues !

[…] J'agite les lèvres pour une parole plus vaine que le silence même : Ne meurs pas !

Cébès. — Il le faut.

Tête d'Or. — Non, ne meurs pas ! nous deux et pas autre chose que nous ! Jamais bras ne retinrent une telle sœur ! […]

Cébès. — Simon ?

Tête d'Or. — Eh ?

Cébès. — Tu ne m'as jamais aimé, avant !

Tête d'Or. — Si.

Cébès (s'inclinant en arrière). — Non ! Jamais avant ! Et c'est maintenant que je meurs. […]

Je t'aime au moment de la mort !

et maintenant aie pitié de moi ! La Mort,

La Mort m'étrangle avec ses douces mains nerveuses.

Tête d'Or (le retenant). — O mon frère ! ô mon épouse

Il faut donc que je te soulève sous les bras

Comme le petit enfant à qui on apprend à marcher !

Mais appuie ta tête contre mon cou. Comme c'est beau, un soir d'été !

Le silence béni s'emplit

De l'odeur du blé qui fait le pain.

Les seigles, et les luzernes, et les sainfoins, et les haies,

Les rondes au sortir des villages, la tranquillité de tous les êtres !

L'arbre fait silence ; l'insecte attardé court sur le chemin.

Déjà ! les claires étoiles brillent, et le rossignol, le sombre oiseau qui chante sa plainte quand se lève le grand Chariot...

Cébès. — Noir, de plus en plus noir tout tourbillonne et s'éteint !

Ah je sombre ! Mon cœur meurt

Donne ta tête que je t'embrasse !

Dis, dis, chère âme...

(Il meurt.)

Tête d'Or (il reste un moment immobile, puis il rejette le corps en frissonnant). — Horreur !

(Il s'assied.)

Je suis seul. J'ai froid. » (1)

Ecrite à l'époque trouble de la fin de l'adolescence, cette pièce ne reflète-t-elle pas seulement l'ambiguïté sexuelle qui caractérise cette période ? S'agit-il uniquement d'homosexualité latente parfaitement sublimée ?

Lorsque dans les années 40, Jean-Louis Barrault fera part à Paul Claudel de son désir de monter Tête d'or, ce dernier répondra : « Non, non, pas Tête d'or ! C'est comme si je me mettais à nu, comme si je me dépouillais de ma peau en public. » (2)


(1) Extraits de « Tête d'or » (première version), tome 1 du Théâtre complet de Paul Claudel dans la Pléiade

(2) in Paul Claudel ou l'enfer du génie, de Gérald Antoine, éditions Robert Laffont, 2004, ISBN : 2221103475


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