L’aveuglon, Agustin Gomez-Arcos
Pour de nombreux Occidentaux, le nom de Marrakech évoque facilement la luxueuse insouciance des vacances.
Le Maroc, pourtant, c'est aussi, pour son petit peuple, l'illettrisme, la faim, le dénuement et la crédulité : un sort qui, lorsqu'il ne l'accule pas à l'immigration, le condamne à vivre aux crochets du tourisme, parfois des pires combines du système D.
De ces deux visages du Maroc, Khalil, cinq ans, ne connaît ni l'un ni l'autre : la cataracte l'empêche de voir. Son univers et les acolytes que le hasard lui adjoint, il les rêve. Il y gagne d'ailleurs le surnom de «Marruecos» (« Maroc », en espagnol).
La gangrène de la misère, qui pourrit le pays dans sa culture et son identité autant que dans ses institutions, n'atteint pas l'enfant. On l'exploite comme ramasseur de crottin ? On profite de son handicap en le vouant à mendier ?
Ces rudesses n'entament pas son innocence et sa joie : elles sont pour lui les petites zones d'ombre normales du monde enchanté de sa cécité. Dans la cour des Miracles où il grandit, son sens de l'humour, sa foi en la beauté et en l'amour invisibles – en une prochaine guérison, aussi – restent les plus forts.
Un adorable petit philosophe malgré lui. La verdeur de la langue, la truculence des personnages, la compassion à l'égard des humbles, font de ce livre de Gomez-Arcos un authentique roman picaresque.
■ L’aveuglon, Agustin Gomez-Arcos, Éditions Stock, 1990, ISBN : 2234022738
Du même auteur : Un oiseau brûlé vif