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Entretiens, Truman Capote

Publié le par Jean-Yves Alt

Ces entretiens, l'auteur les avait accordés à George Plimpton, Andy Warhol et d'autres signatures illustres, de 1966 à 1980 ; ces conversations, pour reprendre le titre original, furent publiées dans le New York Times Book Review, Playboy, Rolling Stone...

Cet ensemble de textes donne de Capote une étonnante vision : homme brillant, drôle, passant avec une facilité déconcertante de la franchise à la dérobade, du paradoxe à la provocation, qu'il brocarde le nouveau journalisme et un certain Tom Wolfe, quasi inconnu en 1966, qu'il évoque son chef-d'œuvre, « De sang-froid », et son adaptation au cinéma, qu'il parle de Mick Jagger, de sa propre conception du sexe, de la liberté, de l'amitié et de l'amour...

Sans désemparer, il éblouit l'interlocuteur et le lecteur par ses réponses en forme de maximes. Répondant à une question que David Frost, du journal The Americans, lui posait sur l'amour, il déclare : « Quelle est la sensation physique la plus proche de l'orgasme ? J'en suis venu à me dire que c'était un éternuement. »

Selon Capote, le sexe peut conduire à l'amour, mais l'amitié, l'amitié vraie y conduit à coup sûr : « Il ne peut y avoir d'amitié qui ne soit une vraie amitié, mais il faut dire qu'on n'a pas tant d'amis que ça dans l'espace d'une vie. »

Si on ne présente plus le chef-d'œuvre de Capote, « De sang-froid », il est très éclairant de connaître la genèse de cette nouvelle forme d'œuvre d'art que l'auteur appelle, dans ses entretiens, le « roman-document ». Répondant aux questions de George Plimpton – sur les relations sexuelles, ou les tendances homosexuelles de Dick et Perry, les deux meurtriers ayant inspiré le roman, qu'il avait eu plusieurs fois l'occasion de rencontrer avant leur exécution inhumainement différée, Capote tient des propos empreints de respect et de retenue, comme s'il avait le désir de couvrir d'un voile pudique l'intimité de ces deux êtres : « Dick était agressivement hétérosexuel et avait beaucoup de succès. Quant à Perry, son amour pour Willie-Jay à la prison d'État fut profond, et réciproque, mais sans aller à la consommation, bien que l'occasion s'en soit présentée. La relation entre Perry et Dick était d'un tout autre ordre : en se comparant à Dick, Perry ne cessait de dire à quel point Dick était "viril". Mais il avait en vue, je crois, le côté pratique et pragmatique de Dick, l'admirant parce que le rêveur qu'il était n'avait en lui-même rien de cette dureté... Dick avait l'intention de larguer Perry à Las Vegas, et je crois qu'il l'aurait fait. Non, je ne crois pas que "ce couple particulier" ait voulu se faire prendre, même si ce désir est commun parmi les criminels. »

Truman Capote fait aux prisonniers de nombreuses visites, pendant leur interminable incarcération : « Perry écrivait à Dick des mots sur des "cerfs-volants", comme il disait. Il tendait la main et glissait le "cerf-volant" dans la cellule de Dick. Il me fallait leur écrire à chacun et je devais prendre soin de ne pas me répéter, car ils étaient très jaloux l'un de l'autre. »

Aux souvenirs que la fréquentation assidue de ces deux hommes lui laisse, l'auteur joint un extrait d'une lettre de cent pages que Perry lui fait adresser, après son exécution : « Et soudain, je comprends que la vie est le père et la mort la mère. » Par-delà la mort, le dialogue, l'entretien semble se poursuivre, non plus avec le journaliste, mais une fois encore avec Perry : « On ne peut pas vivre sans jamais obtenir ce que l'on veut, jamais. »

Truman Capote aimait Oscar Wilde, E.-M. Forster, Montgomery Clift et Greta Garbo. Sa passion pour l'ambivalence et la bisexualité réapparaît sans cesse dans ses entretiens. Ainsi, à propos de Mick Jagger et des Rolling Stones : « Je crois que Mick Jagger est de ceux qui ont cette qualité androgyne particulière, comme Marlon Brando ou Garbo, transférée ici dans le monde du rock 'n' roll, mais c'est quelque chose d'absolument authentique. Il y a quelque chose de très sexy et de très amusant qui excite autant les garçons que les filles du public, en dehors du simple talent naturel. C'est un type de qualité très particulier. Brando la possède par excellence, et Garbo l'a toujours eue. Et à sa manière, dans son étrangeté, Montgomery Clift la possédait également. »

Libéral, Truman Capote semble prévoir, dès 1968, les excès que l'ère Reagan fera peser sur les libertés publiques aux États-Unis. En particulier à la naissance d'organismes aux noms éloquents : « Union des citoyens pour la décence » ou « Fédération nationale de la décence ». Capote s'élève contre la censure, qui s'attaque à « la corruption et l'ordure qui abonde dans nos bibliothèques et nos salles de cinéma ».

Truman Capote confie au journal Play Boy : « La pornographie n'entraîne pas un homme dans la rue pour y commettre des viols. Après tout, le but essentiel de la pornographie est d'activer la masturbation. Pour ceux qui ont des problèmes sexuels, la pornographie peut constituer une forme très salubre de soulagement et servir de tranquillisant à la libido. »

Seule ombre au tableau, un certain antisémitisme se ressent dans quelques-unes de ces pages : « La vérité dans cette matière est que toute la presse culturelle, l'édition... la critique... la télévision... le théâtre... l'industrie cinématographique... sont à 90 % gouvernés par les juifs. » Et cet antisémitisme est d'autant plus gênant lorsque Truman Capote paraît s'en défendre mollement : « Je m'opposerai tout autant à une coterie d'auteurs blancs, protestants, anglo-saxons. [...] Je ne pense pas qu'il y ait de conspiration consciente ou de mauvais augure de leur part, juste une volonté de voir les membres de leur bande parvenir au sommet : Saul Bellow, Philip Roth, Isaac Bashevis Singer, Norman Mailer sont tous de bons écrivains, mais ils ne sont pas les seuls écrivains du pays, comme voudrait nous le faire croire la mafia littéraire juive. »

Peut-être Capote se rappelle-t-il l'ostracisme dont Garbo fut victime de la part des milieux du cinéma new-yorkais, parce qu'à l'époque de son dernier film, Two Faced Woman, qui fut un échec commercial et auquel on attribue ses légendaires et volontaires adieux au cinéma, en 1941, elle avait pris parti pour Hitler.

Le livre s'achève sur les vingt questions que la journaliste Nancy Collins posa à l'auteur, en 1980. Or, à la dernière : « Dans un film sur votre vie, qui choisiriez-vous pour tenir votre rôle ? » Truman répond : « Greta Garbo. Ce serait son grand rôle pour un retour à l'écran. »

■ Entretiens, Truman Capote, Éditions Rivages, 1988, ISBN : 2869301952


Du même auteur : Prières exaucées - Un été indien

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