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Les trompettes de la renommée, ou quand Brassens était homophobe, 1962

Publié le par Jean-Yves Alt

Je vivais à l'écart de la place publique,

Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique...

Refusant d'acquitter la rançon de la gloir',

Sur mon brin de laurier je dormais comme un loir.

Les gens de bon conseil ont su me fair' comprendre

Qu'à l'homme de la ru' j'avais des compt's à rendre

Et que, sous peine de choir dans un oubli complet,

J' devais mettre au grand jour tous mes petits secrets.

 

[Refrain]

Trompettes

De la Renommée,

Vous êtes

Bien mal embouchées !

 

Manquant à la pudeur la plus élémentaire,

Dois-je, pour les besoins d' la caus' publicitaire,

Divulguer avec qui, et dans quell' position

Je plonge dans le stupre et la fornication ?

Si je publi' des noms, combien de Pénélopes

Passeront illico pour de fieffé's salopes,

Combien de bons amis me r'gard'ront de travers,

Combien je recevrai de coups de revolver !

 

A toute exhibition, ma nature est rétive,

Souffrant d'un' modesti' quasiment maladive,

Je ne fais voir mes organes procréateurs

A personne, excepté mes femm's et mes docteurs.

Dois-je, pour défrayer la chroniqu' des scandales,

Battre l' tambour avec mes parti's génitales,

Dois-je les arborer plus ostensiblement,

Comme un enfant de chœur porte un saint sacrement ?

 

Une femme du monde, et qui souvent me laisse

Fair' mes quat' voluptés dans ses quartiers d' noblesse,

M'a sournois'ment passé, sur son divan de soi',

Des parasit's du plus bas étage qui soit...

Sous prétexte de bruit, sous couleur de réclame,

Ai-j' le droit de ternir l'honneur de cette dame

En criant sur les toits, et sur l'air des lampions :

" Madame la marquis' m'a foutu des morpions ! " ?

 

Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente

Avec le Pèr' Duval, la calotte chantante,

Lui, le catéchumène, et moi, l'énergumèn',

Il me laisse dire merd', je lui laiss' dire amen,

En accord avec lui, dois-je écrir' dans la presse

Qu'un soir je l'ai surpris aux genoux d' ma maîtresse,

Chantant la mélopé' d'une voix qui susurre,

Tandis qu'ell' lui cherchait des poux dans la tonsure ?

 

Avec qui, ventrebleu ! faut-il que je couche

Pour fair' parler un peu la déesse aux cent bouches ?

Faut-il qu'un' femme célèbre, une étoile, une star,

Vienn' prendre entre mes bras la plac' de ma guitar' ?

Pour exciter le peuple et les folliculaires,

Qui'est-c' qui veut me prêter sa croupe populaire,

Qui'est-c' qui veut m' laisser faire, in naturalibus,

Un p'tit peu d'alpinism' sur son mont de Vénus ?

 

Sonneraient-ell's plus fort, ces divines trompettes,

Si, comm' tout un chacun, j'étais un peu tapette,

Si je me déhanchais comme une demoiselle

Et prenais tout à coup des allur's de gazelle ?

Mais je ne sache pas qu'ça profite à ces drôles

De jouer le jeu d' l'amour en inversant les rôles,

Qu'ça confère à ma gloire un' onc' de plus-valu',

Le crim' pédérastique, aujourd'hui, ne pai' plus.

 

Après c'tour d'horizon des mille et un' recettes

Qui vous val'nt à coup sûr les honneurs des gazettes,

J'aime mieux m'en tenir à ma premièr' façon

Et me gratter le ventre en chantant des chansons.

Si le public en veut, je les sors dare-dare,

S'il n'en veut pas je les remets dans ma guitare.

Refusant d'acquitter la rançon de la gloir',

Sur mon brin de laurier je m'endors comme un loir.


Dérisions et vulgarités dans la chanson française des années 50/60

A la différence de la littérature, la chanson n'accorde pas d'autre place à l'homosexualité dans les années 50/60, que celle d'un vice ou d'un comportement paradoxal, un peu grotesque. Les homosexuels sont alors un sujet de raillerie, focalisant la décadence de notre civilisation. Ce filon marche comme celui de la libération des mœurs marchera quinze ans plus tard. Les meilleurs auteurs compositeurs interprètes s'essaient à la chanson homophobe. Ainsi, Georges Brassens écrit en 62 dans Les trompettes de la renommée : « Sonneraient-ell's plus forts ces divines trompettes / Si comm' tout un chacun j'étais un peu tapette / Si je me déhanchais comme une demoisell' / Et prenait tout à coup des allur's de gazell' / Mais je ne sache pas qu'ça profite à ces drôles / De jouer le jeu d'l'amour en inversant les rôles / Qu'ça confère à leu gloire un' onc' de plus value / Le crim' pédérastique aujourd'hui ne paie plus ». Ce texte, confondant de bêtise et farci des stéréotypes les plus vulgaires montre bien que si « les croquants » et « les braves gens » qui « n'aiment pas qu'on suive une autre route qu'eux » sont dans la salle, ils sont aussi sur la scène.

A l'opposé, Serge Reggiani a osé conjuguer au présent l'amour-amitié avec un autre homme dans une remarquable chanson : Le vieux couple.

Dans la série mieux-vaut-encore-s'en-moquer-qu'y-goûter, il y a cette incroyable chanson de Georges Chelon, Ce n'est pas encore demain la veille, datant de la fin des années 60. Plagiant Mon beau légionnaire, Chelon démarre par « L'était pas grand, l'était pas beau, il sentait pas le sable chaud », avant d'enchaîner sur les bruits de baise des deux monstres, filtrant à travers la cloison de la chambre. Et de conclure par cette ravissante métaphore : « Non ce n'est pas encore demain la veille / Que je me passerai de toi ma belle / Car j'aime mieux monter à tes jarretelles / Que de descendre une paire de bretelles ».

A ce niveau, Sardou n'a pas fait mieux. Avec Le rire du sergent (1971) ou avec Le surveillant général (1972) : l'homosexuel y est présenté comme une folle, une putain ou un être vicieux à l'affût des branlettes collégiennes. A ces misérables poncifs, il y a celui de l'impuissant, présent dans J'accuse : « J'accuse les hommes de croire des hypocrites / Moitié PD, moitié hermaphrodites / Qui jouent les durs pour enfoncer du beurre / (…) / J'accuse les hommes de n'être pas des hommes... tout simplement ».

Contrairement à certaines légendes présentes dans la littérature populaire, il faut remarquer que le pédé n'est pas le sodomite-violeur d'enfant, mais un être faible et pervers, ressemblant trait pour trait aux femmes.

Ainsi ces chansons font-elles d'une pierre deux coups : non contentes d'être homophobes, elles sont souvent misogynes.

Ce cliché de l'homosexuel efféminé sera repris par Charles Aznavour en 1972, avec Je suis homo comme ils disent. Cette chanson dépeint, un être soumis, un peu décorateur et toujours travesti. Ce qui apparaît aujourd'hui comme une complainte plutôt facile a fait scandale dans plus d'un foyer et a été un très grand succès. C'était au début des années 70. Il faut reconnaître à Charles Aznavour son courage pour cette chanson.

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F
Hinageshi <br /> J'ai atteri sur cette page pendant que j'ecoutais Les trompettes de la renommée, effectivement, dans cette chanson, on peut se poser la question de la perception de l'homosexualite par Brassens.<br /> Pour Gare au gorille c'est vraiment du grand nimporte quoi et je suis surpris de voir que c'est repris a plusieurs endroit sur internet. Cette chanson est ouvertement contre la peine de mort et le dégout est dirigé vers la fonction de magistrat de celui qui la prononce, non sur le genre du personnage. C'est une idée constante dans toute l'oeuvre de Brassens. Pour etre un peu plus provocateur et meme si on prend la chanson au premier degré, je ne suis pas sur qu'évoquer une preference pour les vieilles dames plutot que pour les hommes soit homophobe. Tant qu'il n'y a pas de jugement de valeur, chacun ses gouts.<br /> <br /> Pour les Copains d'abord c'est un peu plus ambigu mais je ne serais pas formel. Les crimes pretes aux habitants de Sodomes et Gomorrhe sont loin de se limiter a la sodomie. Qui plus est les réferences de Brassens a la religion sont rarement au premier degrée. Enfin précisé qu'une amitié masculine n'est pas de nature intime n'est pas homophobe, meme si c'est fait au moyen d'une image. <br /> Au final je n'ai toujours pas ma réponse, je suis curieux de savoir si il a déja pris position sur le sujet.
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V
Merci aussi Eric pour l'explication
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E
Pour Brassens tu as tout faux. Le but de ce couplet est justement de dire que ceux qui mettaient de l'avant leur homosexualité (vraie ou fausse) pour être à la mode et s'attirer des sympathies sociales en se servant de ce seul fait pour justifier la qualité de leur personne ne méritaient pas d'attention et que cette façon de faire était démodée. Démodée car il est commun d'être homosexuel et ça n'a plus rien de tabou, d'inédit et de marchandable...<br /> <br /> "Le crime pédérastique aujourd'hui ne paie plus" <br /> <br /> Bref, le personnage incarné par Brassens dans la chanson se demande si, pour être célèbre et faire parler de lui dans les journaux à potins, il ne devrait pas, lui-aussi, s'inventer une homosexualité. C'est plus une attaque contre les journaux à potins qu'une missive homophobe ;)
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J
Merci pour vos rectificatifs. Mon article est anachronique. L'ensemble des commentaires postés sont donc bienvenus.
H
Votre défense de Brassens aurait un sens si l'homosexualité en ce temps avait été chose banale & facile ; or c'est l'exact contraire qui est vrai.<br /> Par exemple en 64 Trenet sera condamné à un an de prison pour avoir fréquenté des jeunes gens âgés de 20 ans (certes il sera in fine acquitté en appel) car l'âge de la majorité pour les homosexuels avait été rehaussé à 21 ans par Vichy en 1942.<br /> D'autre part Brassens a écrit d'autres textes où point une homophobie « de bon aloi » : Les copains d'abord, ou Gare au gorille, notamment.
J
Merci pour votre rectificatif.