Je suis un homo, comme ils disent, Charles Aznavour (1972)
J'habite seul avec maman,
Dans un vieil appartement,
Rue Sarrasates
J'ai, pour me tenir compagnie,
Une tortue, deux canaris,
Et une chatte
Pour laisser maman reposer,
Très souvent, je fais le marché
Et la cuisine
Je range, je lave, j'essuie
A l'occasion, je pique aussi
A la machine
Le travail ne me fait pas peur
Je suis un peu décorateur
Un peu styliste
Mais mon vrai métier, c'est la nuit
Je l'exerce travesti
Je suis artiste
J'ai un numéro très spécial
Qui finit en nu intégral
Après strip-tease
Et dans la salle je vois que
Les mâles n'en croient pas leurs yeux
Je suis un homo, comme ils disent
Vers les trois heures du matin
On va manger entre copains
De tous les sexes
Dans un quelconque bar-tabac
Et là on s'en donne à cœur joie
Et sans complexes
On déballe des vérités
Sur des gens qu'on a dans le nez
On les lapide
Mais on le fait avec humour
Enrobé dans des calembours
Mouillés d'acide
On rencontre des attardés
Qui, pour épater leurs tablées,
Marchent et ondulent
Singeant ce qu'ils croient être nous
Et se couvrent, les pauvres fous,
De ridicule
Ca gesticule et parle fort
Ca joue les divas, les ténors
De la bêtise
Moi les lazzi, les quolibets,
Me laissent froid puisque c'est vrai
Je suis un homo, comme ils disent
A l'heure où naît un jour nouveau
Je rentre retrouver mon lot
De solitude
J'ôte mes cils et mes cheveux
Comme un pauvre clown malheureux
De lassitude
Je me couche mais ne dors pas
Je pense à mes amours sans joie
Si dérisoires
A ce garçon beau comme un dieu
Qui sans rien faire a mis le feu
A ma mémoire
Ma bouche n'osera jamais
Lui avouer mon doux secret
Mon tendre drame
Car l'objet de tous mes tourments
Passe le plus clair de son temps
Au lit des femmes
Nul n'a le droit, en vérité,
De me blâmer, de me juger,
Et je précise
Que c'est bien la Nature qui
Est seule responsable si
Je suis un homo, comme ils disent.
Dérisions et vulgarités dans la chanson française des années 50/60
A la différence de la littérature, la chanson n'accorde pas d'autre place à l'homosexualité dans les années 50/60, que celle d'un vice ou d'un comportement paradoxal, un peu grotesque. Les homosexuels sont alors un sujet de raillerie, focalisant la décadence de notre civilisation. Ce filon marche comme celui de la libération des mœurs marchera quinze ans plus tard. Les meilleurs auteurs compositeurs interprètes s'essaient à la chanson homophobe. Ainsi, Georges Brassens écrit en 62 dans Les trompettes de la renommée : « Sonneraient-ell's plus forts ces divines trompettes / Si comm' tout un chacun j'étais un peu tapette / Si je me déhanchais comme une demoisell' / Et prenait tout à coup des allur's de gazell' / Mais je ne sache pas qu'ça profite à ces drôles / De jouer le jeu d'l'amour en inversant les rôles / Qu'ça confère à leu gloire un' onc' de plus value / Le crim' pédérastique aujourd'hui ne paie plus ». Ce texte, confondant de bêtise et farci des stéréotypes les plus vulgaires montre bien que si « les croquants » et « les braves gens » qui « n'aiment pas qu'on suive une autre route qu'eux » sont dans la salle, ils sont aussi sur la scène.
A l'opposé, Serge Reggiani a osé conjuguer au présent l'amour-amitié avec un autre homme dans une remarquable chanson : Le vieux couple.
Dans la série mieux-vaut-encore-s'en-moquer-qu'y-goûter, il y a cette incroyable chanson de Georges Chelon, Ce n'est pas encore demain la veille, datant de la fin des années 60. Plagiant Mon beau légionnaire, Chelon démarre par « L'était pas grand, l'était pas beau, il sentait pas le sable chaud », avant d'enchaîner sur les bruits de baise des deux monstres, filtrant à travers la cloison de la chambre. Et de conclure par cette ravissante métaphore : « Non ce n'est pas encore demain la veille / Que je me passerai de toi ma belle / Car j'aime mieux monter à tes jarretelles / Que de descendre une paire de bretelles ».
A ce niveau, Sardou n'a pas fait mieux. Avec Le rire du sergent (1971) ou avec Le surveillant général (1972) : l'homosexuel y est présenté comme une folle, une putain ou un être vicieux à l'affût des branlettes collégiennes. A ces misérables poncifs, il y a celui de l'impuissant, présent dans J'accuse : « J'accuse les hommes de croire des hypocrites / Moitié PD, moitié hermaphrodites / Qui jouent les durs pour enfoncer du beurre / (…) / J'accuse les hommes de n'être pas des hommes... tout simplement ».
Contrairement à certaines légendes présentes dans la littérature populaire, il faut remarquer que le pédé n'est pas le sodomite-violeur d'enfant, mais un être faible et pervers, ressemblant trait pour trait aux femmes.
Ainsi ces chansons font-elles d'une pierre deux coups : non contentes d'être homophobes, elles sont souvent misogynes.
Ce cliché de l'homosexuel efféminé sera repris par Charles Aznavour en 1972, avec Je suis homo comme ils disent. Cette chanson dépeint, un être soumis, un peu décorateur et toujours travesti. Ce qui apparaît aujourd'hui comme une complainte plutôt facile a fait scandale dans plus d'un foyer et a été un très grand succès. C'était au début des années 70. Il faut reconnaître à Charles Aznavour son courage pour cette chanson.