Station balnéaire, Christian Giudicelli
À l'hôtel mille étoiles de toutes les illusions, ils auraient pu vivre une longue histoire d'amour. Mais Marie et José n'étaient pas programmés pour le bonheur. Putain de vie !
José est un jeune portugais de vingt ans. Un travail occasionnel et éphémère enrichit – maigrement – sa bourse. Il rencontre Marie et décide le grand voyage, le rêve rimbaldien au cœur de tous les paumés. Un voyage bien raisonnable après les grandioses perspectives. Un train, Montpellier, une station balnéaire et un hôtel de luxe quand les refuges moins coûteux refusent leur porte à ce jeune couple. Marie-José, chassés des étables et brutalement immergés dans l'univers – prospectus d'un palace.
Moderne chemin de croix pavé des images clinquantes. Que reste-t-il quand l'imaginaire s'est nourri de télévision et quand la vitesse en creux des jours n'offre aucune arme pour maîtriser sa vie et s'arrêter lucide, avant d'être floué par les mirages du loto et autres stars nimbées des apparences du fric ?
Des personnages jeunes, aux prises avec des réalités incontournables mais aussi un regard sur l'amour à vingt ans qui dégonfle le romantisme des chansonnettes.
Christian Giudicelli n'en accepte pas pour autant un réalisme en contradiction avec la mentalité adolescente. Il sait que les culs-de-sac attendent les héros d'aujourd'hui, il sait aussi qu'ils y tiennent mordicus à leur plus belle histoire d'amour. José fonce vers le bonheur comme un desperado, Marie tente de récupérer, bonne ménagère des sentiments, cet amour dévoué au quotidien que les femmes lui ont laissé en héritage. Ils sont coincés : on ne fabrique plus ces maisons-cocons où le mâle joue les Don Quichotte dans les limites du jardin et où l'épouse veille, luttant contre la poussière ennemie de la passion… Il faut passer par l'épargne-logement et les intérêts ne sont pas épongés que tout est déjà fini.
Il y a aussi Jacques, quarante ans, écrivain ; il a le célibat agressif. L'argent pour lui est définitivement hors jeu. Il aime les garçons. Égoïste certes. Sympathique aussi, même si on peut lui reprocher de préférer ses livres au bonheur de José. Jacques est lucide sans acrimonie et sait, dans ses comptes du cœur, reporter le crédit solitude comme valeur vivifiante. N'est-ce pas sagesse que d'aimer avec légèreté pour mieux comprendre et tendre la main ?
Christian Giudicelli a l'art du dialogue, un sens exact des situations, une maîtrise racée des mises en scène.
Comment ne pas reconnaître dans le couple José-Marie, Joseph et Marie ? Quelle étoile pouvait les guider, sous ce ciel alourdi de menaces ? Les étoiles perceptibles sont celles des hôtels, les haltes sont les stations balnéaires où se joue, le temps des vacances, la parade des faux bonheurs.
Un roman émouvant par une histoire d'amour à faire rougir d'envie Roméo et Juliette, et, troublant aussi par les questions tragiques que le récit suscite.
■ Station balnéaire, Christian Giudicelli, Éditions Gallimard/Folio, 1988, ISBN : 2070379418
Du même auteur : Après toi - Double express - Le point de fuite