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La trahison de Thomas Spencer, Philippe Besson

Publié le par Jean-Yves Alt

Délitement d'une amitié

Thomas, le narrateur, américain, est né le 6 août 1945, jour symbolique et inoubliable où son pays a lancé la première bombe atomique. Cette naissance a-t-elle marqué le début d'un monde nouveau ?

1975 : Thomas raconte a posteriori son amitié pour Paul qui est né le même jour que lui. Une amitié racontée sur 30 ans. Et, parce qu'elle est ancrée en eux, comme des frères, on pense qu'elle n'a plus besoin d'être questionnée. Et pourtant…

« Je n'ai toujours pas compris pourquoi les garçons vont vers les filles, pourquoi ils ne peuvent pas s'en empêcher, alors que les garçons et les filles n'ont rien en commun, ce sont des espèces radicalement opposées, irréconciliables. Pourtant, le miracle se produit chaque fois, il se reproduit depuis des millénaires.

Il m'arrive d'envier les garçons qui préfèrent les garçons. Il me semble que ce sont eux qui ont raison. Ils ne fournissent pas nos efforts. Ils se dirigent vers leurs semblables. N'essaient pas de s'entendre avec des êtres à qui ils n'ont rien à dire. Ils cèdent à la facilité, à l'évidence. Je dis céder mais il ne s'agit pas d'un verbe péjoratif sous ma plume. Ils s'abandonnent plus qu'ils n'abdiquent. Je n'ai pas leur chance. » (p. 64)

Le lecteur découvre très rapidement que ce récit est plus qu'un récit mais une confession. Qu'il s'est passé quelque chose. Thomas, à travers ses mots, dévoile les mécanismes (pour se déculpabiliser ?) qui conduisent à la trahison de leur amitié qui paraissait ne jamais pouvoir être mise à mal.

« En un éclair, il mesure ma stupéfaction, mon émotion et mon désarroi. Mon bouleversement. Aussitôt, son sourire s'estompe pour laisser place à une expression très douce, presque compatissante, qui n'est pas de la pitié mais bien le signe d'une affection intense. D'un amour peut-être. » (p. 80)

« J'ai employé tout à l'heure l'expression "de l'amour peut-être". Il faut enlever le peut-être. » (p. 82)

« La trahison de Thomas Spencer » est aussi un roman sur l'amitié confrontée au temps, dans le sud des États-Unis. Elle est soumise aux épreuves de l'Histoire. Le frère aîné de Paul est mort pendant la guerre de Corée et est devenu pour son cadet comme une ombre héroïque vers laquelle Paul ne cesse de se tourner. Sans doute, faut-il voir, dans cette vision de son frère aîné, l'engagement de Paul dans la guerre du Vietnam. Faut-il en conclure que la marche du monde interfère avec les histoires individuelles ? Philippe Besson montre que l'Histoire avec un grand H – celle du pays de ces deux garçons (1) – intervient dans leurs parcours affectifs : les répercussions intimes des soubresauts de l'Histoire pouvant jusqu'à produire des fractures dans ce qui unissait les êtres.

De nombreuses filles jalonnent ce roman dont une en particulier, Claire. Avec cette question : L'amour peut-il détruire une amitié ?

■ La trahison de Thomas Spencer, Philippe Besson, Éditions Julliard, janvier 2009, ISBN : 9782260017707


Lire un autre extrait


(1) de la guerre de Corée à celle du Vietnam en passant par le Maccarthysme, la fin de l'ère républicaine avec Eisenhower, l’assassinat de Kennedy, Elvis Presley, la mort de Marylin, celle de Martin Luther King, les batailles idéologiques, l’embrasement des universités…


Du même auteur : Les jours fragiles - Un instant d'abandon

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