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Louise, Yves Navarre

Publié le par Jean-Yves Alt

ou quand la vie est derrière soi

Louise Lefort, épouse de Lucien Croisé, née le 15 juin 1904 à Autun, s'enferme dans une chambre, écrit sur des cahiers et rature son faux nom de femme mariée, liée, enterrée toujours vivante.

Elle écrit : Louise Lefort, son nom de jeune fille, d'enfant, Louise, son nom de vérité.

Elle essaie de sauver ses rêves, le souvenir des bonheurs fugaces et ces étranges escapades au bistrot où s'élabore son dernier amour (sans doute imaginaire) pour un garçon de café, sorti de prison. Louise écrit ainsi dans les marges de sa vie officielle.

« Ils » la guettent, l'accusent, la dépouillent : ceux qui l'aiment, comme ils disent. Mari bouleversé d'être abandonné, enfants rapaces, petits-enfants, arrière-petits-enfants... en un mot, la famille. Ils lui enlèvent le portrait de Mary Waldstein peint par Peter Kruger, symbole de la femme figée dans un rôle artificiel. Mais cette image volée, redonne à Louise sa pureté : elle «les» chasse, sans bruit, elle «s'absente». Elle vogue, ailleurs, avec les morts : son frère décédé, jeune, dans un lupanar d'hommes... Louise écrit peut-être pour Damien ce frère marginal, ce frère qui survit en elle.

Mon frère, le cadet, me prit […] en affection. Il avait toujours un cahier sous le bras. Et des "caches", partout dans la maison, pour ses cahiers. Il me lisait des poèmes que je ne comprenais pas. Mais c'était beau. Bannir le « mais », une fois pour toutes, le « mais » chagrin de mon monde […] Choisir le "et", et s'y tenir. Une éternité. Un effort. Mon frère cadet me parlait de ses amis. De l'amitié. Des hommes. Je ne comprenais pas. Il me parlait d'un grand poème inachevé et de "l'anéantissement des preuves". C'est très exactement cela : l'anéantissement des preuves. Je ne comprenais pas. Et, pour ce poème, et cet inachèvement, « je cache en fait des cahiers déchirés », il me disait qu'il répondrait par "une salve d'à venir". Il détachait "à" de "venir". Je ne comprenais pas. Je le pourrais maintenant si je n'avais pas perdu toutes celles et tous ceux qui ont trop voulu comprendre. C'était ça le sujet. Ça le scénario, Lucien, mais, et, il faut prendre le risque de chaque page. Je suis capable d'égarement. Contre toute attente, tenir. Le frère aîné est mort à la guerre. Le fils Lefort. Son nom est gravé dans la pierre d'un monument officiel. Le frère cadet, lui, est mort Villa des Fleurs. Un lupanar. D'hommes. Le champ du déshonneur. (pages 70-71)

Elle a des rendez-vous lointains avec son premier amour, un fils d'émigrés, autrefois, là-bas, quand la vie était promesse. Louise, tenace, tourne le dos aux «siens» : il était temps, elle a quatre-vingts ans, elle accepte l'urgence et fait le tri. Bilan consternant : «ils» l'ont privée de vie.

Louise, est une femme cadenassée mais aussi envahie de l'exceptionnelle faculté à comprendre au-delà des conventions.

« Louise », un très beau roman sur le bonheur qui se vit ailleurs.

■ Louise, Yves Navarre, Editions Flammarion, 1986, ISBN : 208064856X


Quelques ouvrages d'Yves Navarre : Biographie - Ce sont amis que vent emporte - Fête des mères - Hôtel Styx - Le jardin d'acclimatation - Kurwenal ou la part des êtres - L'espérance de beaux voyages - Louise - Le petit galopin de nos corps - Premières pages - Une vie de chat - Romances sans paroles - Les dernières clientes [Théâtre] - Portrait de Julien devant la fenêtre - Le temps voulu - Killer - Niagarak - Pour dans peu

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