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Le débat sur le mariage est mal posé par Marie-Hélène Bourcier

Publié le par Jean-Yves Alt

[…] vu le degré de fossilisation des politiques gay assimilationnistes officielles, les théories et les politiques queer sont nécessaires pour lutter contre la restriction et la segmentarisation de l'agenda politico-sexuel. On nous rebat les oreilles avec le mariage gay au point de faire oublier les politiques du mariage.

Au point de se laisser embarquer dans une linéarisation des enjeux au tracé pour le moins troublant : après le mariage viendra l'inévitable homoparentalité.

Mariage, famille, nation, telle est la sainte trinité familialiste vers laquelle nous entraîne cette reprivatisation inédite de la sexualité. Œdipe loves you !

C'est Deleuze et Guattari, Hocquenghem et Cressole qui seraient contents de voir les futurs parents gays s'employer à exhiber un « référent père » à côté des paillettes de l'insémination. Alors qu'il y a une multitude de registres de la masculinité avérés dans les cultures queer et que c'est une occasion rêvée de se défaire d'une conception expressive du genre ou causale du sexe biologique !

Comment est-on passé de la politique du triangle rose à celle de la triangulation familiale ? Quid de la distribution sélective des privilèges accordée par le mariage qui permettra de discipliner les exclus volontaires ou non du contrat marital ? Est-ce que l'on ne confond pas justice sociale et politique sexuelle ?

Au lieu de considérer le mariage comme un aspirateur à droits sociaux en tandem, ne doit-on pas réfléchir à découpler justement justice sociale et justice sexuelle ?

Pourquoi se brider l'imagination et l'efficacité politique au point de vouloir à tout prix intégrer un contrat singulièrement peu souple dans ses clauses et ses variantes ? Il faut supprimer la référence évolutive et l'impératif structural œdipien, surtout dans notre bonne vieille France lacanienne, véritable musée de la différence sexuelle ! L'œdipe, dont les critiques féministes et queer ont bien montré qu'il n'est en rien universel (pas plus que la prétendue loi de l'inceste d'ailleurs, désolée pour Françoise Héritier !), est un opérateur de ségrégation.

De même que le mariage gay est un opérateur de discrimination, contrairement à ce que nous disent ceux qui nous le représentent comme la panacée de l'égalité ou le triomphe de l'amour ! Warner, Nadeau, Duggan ont raison d'insister sur le fait que le débat sur le mariage, outre qu'il obnubile l'espace public et masque la diversité des pratiques et des styles de vie gay, lesbien et trans, est mal posé.

Si l'on tient à un certain juridisme, ne faut-il pas plutôt demander à la loi de reconnaître d'autres formes de contrats pour reconnaître des formes d'intimité, d'alliance et non de filiation qui n'ont pas à payer le tribut de la différence sexuelle ? Quid des formes contractuelles et consensuelles, érotisées ou pas, nées des cultures SM, des formes de sexe en public ? Des réseaux de sociabilité nés de la lutte contre le sida ? C'est là que se situe le questionnement queer. Il faut procéder à un renversement copernicien et laisser tomber la lorgnette de l'homosexualité et de l'homophobie même si ça donne bonne conscience à tout le monde. Il faut décompacter l'agenda et plutôt s'inspirer de celui de la plate-forme des droits établi par le Collectif pour l'égalité des droits qui s'est monté en 2004. Significativement, cette plate-forme, riche et militante, évoque la réforme du Code civil, et pas seulement pour les trans.

C'est de là qu'il faut repartir, en amont : en demandant une suppression du 1 et du 2 de la Sécurité sociale pour tous, et aborder la question des discriminations en termes de gender rights et non d'homophobie. Voilà qui concerne tout le monde transversalement.

Marie-Hélène Bourcier, sociologue

Extrait d'un article publié dans Les Lettres Françaises, supplément au journal L'Humanité du 31 août 2004


Dossier complet « Queer Théories : genres, classes, sexualités » (format PDF)


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