Mon voyage d'hiver, un film de Vincent Dieutre (2003)
Vincent a quarante ans. Hanté par la figure de Schubert, cet homosexuel cultivé et fragile s'embarque avec son filleul Itvan pour un ultime et beau voyage : son Voyage d'Hiver. L'homme et l'adolescent traversent une Allemagne enneigée, battue par les vents et peuplée de fantômes. Entre blessures du passé et vastes chantiers de la réunification, l'homme tente de changer le regard d'Itvan sur ces villes, ces paysages, invoquant tour à tour l'histoire, la poésie, et la musique...
Au fil de ce parcours initiatique, fragmentaire et glacé, porté par les mélodies romantiques allemandes, l'homme voyage aussi à travers sa propre histoire. Nuremberg, Bamberg, Dresde... de retrouvailles avec d'anciens amants en rencontres de hasard, il laisse entrevoir à Itvan les traces de sa vie passée. Berlin, la fin d'une histoire, ils doivent se séparer. Mais désormais un lien indéfectible les unit en secret. Itvan ne sera plus le même. La musique peut cesser...
MON COMMENTAIRE : Un voyage dans la musique
Pourquoi inventer des fictions quand elles existent déjà en nous et autour de nous ? semble nous dire le cinéaste. Le film nous plonge dans une réflexion intime, introspective, des strates de vécu où s’entremêlent la vie et la mort, le passé et le présent, le culturel et l’émotionnel, l’amour et la perte.
C’est donc le journal d’un voyage mais aussi un roman d’éducation puisque le narrateur quadragénaire (que Vincent Dieutre incarne lui-même) est accompagné de son filleul, adolescent à qui il voudrait apprendre le monde. Histoire de passage de relais d’un quadragénaire homosexuel à un adolescent. Ainsi se croisent, sur les mêmes routes, deux regards : l’homme cherche l’Allemagne qui enchanta sa jeunesse, musique, littérature, forêts et intérieurs chauds, les Allemands qu’il y aima, le filleul apprend à mieux connaître celui qu’il accompagne. L’homme voudrait que son filleul le voie comme il est : respectueux des autres, aimant la musique, la vie. La musique et la poésie en effet portent le film, d’étape en étape, de rencontre en rencontre, lieder de Schubert essentiellement, du Roi de Thulé, sur un poème de Goethe, aux Voyages d’hiver. Tout cela se termine pour le quadragénaire et l’adolescent, à Euskirchen, avec les musiciens qui jouent Gute Nacht (bonne nuit), de Schubert : le narrateur peut s’endormir, Itvan, son filleul, écoutant la musique.
Les amants que Vincent Dieutre retrouve ont vieilli, leurs corps sont marqués, le désir éteint, mais ils se retrouvent dans ce qu’ils avaient autrefois partagé, l’amour, la musique, la poésie, la conversation... Toute la beauté du film est là, dans la pudeur avec laquelle celui qui a entrepris cette remontée dans le temps de sa jeunesse se met à nu, lui pour qui, aussi, la jeunesse est passée.
Pudeur jusque dans la rencontre avec un prostitué dans une chambre minable : après l’étreinte des corps que la caméra n’a pas montrée mais dont on aura eu seulement l’écho sonore, le narrateur demande à son compagnon d’un moment de lire une page qu’il lui tend, un poème. L’autre refuse : pour l’argent, on a les gestes de l’amour, mais quant au partage d’un poème, d’une émotion autre que mécanique, il n’en est pas question. «Notre époque a ceci de passionnant qu’elle est faite de citations, de recyclages, d’allers-retours ou d’interpénétrations des disciplines.» Vincent Dieutre n’aurait su mieux le dire que par la musique grave de ce film confidence.
Biographie : Vincent Dieutre est né en 1960. Il a soutenu un DEA sur «l’esthétique de la confusion» après avoir suivi des études d’histoire de l’art. Vincent Dieutre : Ancien élève de l’IDHEC et lauréat de la bourse Villa Médicis hors les murs, Vincent Dieutre a résidé à New York puis à Rome avant de se consacrer au cinéma. Auteur de nombreux écrits consacrés au rapport entre art et cinéma, il enseigne au département cinéma de l’université Paris VII. En tant que cinéaste, il explore les « limites entre le documentaire et l’auto-fiction », comme dans Lettres de Berlin (1988) et dans ses deux premiers longs métrages Rome désolée (1996) et Leçons de ténèbres (2000). Il réalise également pour la Lucarne d’Arte, une « médiation urbaine sur le quartier des grands boulevards parisiens ». Son dernier film Mon voyage d’hiver, qui se déroule dans une «Allemagne schubertienne et hivernale» est sorti en Octobre 2003.