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Un tableau exceptionnel de Mantegna en l'église Notre Dame d'Aigueperse (Puy de Dôme)

Publié le par Jean-Yves Alt

Un homme dans la force de l'âge, nu, lié par des cordes à la colonne d'un portique romain, et bardé de flèches, paisible et fort dans sa position d'extrême faiblesse. Chacun aura reconnu saint Sébastien, l'une des figures les plus représentées de notre tradition iconographique.

Les yeux levés vers le ciel, le martyr n'a plus, comme le Christ en croix dont il revit la passion, qu'un linge attaché autour de la taille, qui ne cache rien de la beauté de son corps. Les flèches qui le trouent de part en part évoquent aussi Cupidon, dieu de l'Amour. Comme tous les martyrs, Sébastien meurt d'amour.

C'est sa peau qu'il offre aux coups, dans sa perméabilité et sa tendresse. Une peau aussi douce et chaude que la colonne à laquelle il est attaché apparaît dure et froide. Sébastien meurt de la main des hommes, pour le Christ et comme lui, sans un mot, sans un mouvement de révolte.

Originaire de Narbonne et citoyen de Milan, Sébastien est un soldat, proche des empereurs Maximien et Dioclétien qu'il a servis fidèlement tant que ce service n'était pas contraire à celui du Christ. Mais l'Empire, en cette fin du IIIe siècle, est déjà en train de se lézarder, la splendeur romaine s'effondre sous le poids de sa propre mégalomanie. Le système politique de Dioclétien se transforme en un État totalitaire et policier. Le culte de l'Empereur atteint son apogée. Les chrétiens, refusant d'adorer le souverain à l'égal d'un dieu, sont poursuivis. Pour l'administration centrale, un seul mot d'ordre : avoir leur peau...

À la fin du XVe siècle, Mantegna redécouvre, comme toute sa génération, l'héritage antique qui le fascine. Il reprend à son compte le thème du martyr de saint Sébastien, ici représenté comme le véritable soutien du temple en ruines auquel il est attaché.

C'est lui qui, dans son martyr, est devenu la véritable colonne porteuse de la civilisation, de ces villes accrochées aux rochers (en arrière-plan), qui montent toujours plus haut à l'assaut du ciel avec qui Sébastien semble en dialogue.

Paradoxalement, c'est la confession de la foi chrétienne dans sa plus évidente faiblesse, qui assure la renaissance d'une civilisation en ruines.

Andrea MANTEGNA, Le martyre de Saint Sébastien

Original au Musée du Louvre

Copie en l’Eglise d’Aigueperse [Puy de Dôme – 63]

Matériaux : Tempera sur toile, Peinture à l'huile sur toile, Dimensions : 1,40 m x 2,55 m, vers 1480


Histoire du tableau : Andrea Mantegna peignit ce saint Sébastien à la demande de Chiara Gonzaga qui en fit don, à l'occasion de son mariage avec le comte Gilbert de Bourbon-Montpensier (1481), à l'église Notre Dame d'Aigueperse dans le Puy de Dôme [Montpensier étant aujourd'hui, un hameau de la commune d'Aigueperse]. Quand le musée du Louvre prendra le tableau pour ses collections, il fera faire une copie pour l'église d'Aigueperse : copie toujours visible.

Symbolique de cette représentation : Saint Sébastien, il n'y a que lui parmi tous les saints représentés, qui est facilement reconnaissable dans les milliers de tableaux dont se parent les églises. Depuis le XVe siècle, il est le saint que le dévot prie pour échapper à la peste avec au cœur un désir de guérison. Sans aucun doute possible c'est une image religieuse qu'il contemple, même si, dès le XVIe siècle, cette représentation du saint fut aussi perçue comme une image érotique. En témoignent les cris d'orfraie du prédicateur Savonarole, des zélateurs de la Contre-Réforme et les mésaventures du saint Sébastien de Fra Bartolomeo, nu si parfait qu'il en troublait les consciences et qu'on le retira bien vite de l'église où il trônait pour le donner au roi de France. Pourtant les intentions des peintres de l'époque étaient pures, motivées par le souci de répondre efficacement à la demande dévote. Mais dès lors que les regards se firent moins angoissés, moins pieux les représentations, de saint Sébastien se mirent à produire d'autres effets. Aujourd’hui, l'iconographie de saint Sébastien n'a même pas besoin d'être détournée : il suffit de la reproduire pour que seules ses potentialités érotiques (principalement homo-érotiques pour être plus précis) agissent. Le souci de représenter un beau jeune homme gracile, une insistance sur le sexe ou le tissu censé le cacher, les liens, un abandon sincère aux flèches comme aux regards suffisent-ils à expliquer ce nouvel horizon d’attente ?

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