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Zapinette chez les Belges, Albert Russo

Publié le par Jean-Yves Alt

Voici Zapinette propulsée en Belgique avec son loufoque tonton homosexuel ("mots sessuels") dénommé Albéric et surnommé par l'infernale gamine "Tintin Bins".. Elle aurait préféré le club de Los Schtroumpfos sur la Costa Brava, mais les aventures qu'elle y vivra seront plus rocambolesques et fantasques que jamais. Son tonton, est à la recherche d'un trésor que lui aurait légué son arrière-grand-père, Popol.

Zapinette est guidée dans cette chasse au trésor par un Esprit qui a choisi d'entrer en communication avec elle. Et lorsque son tonton Albéric disparaît mystérieusement dans une galerie d'africaniste, Zapinette ira jusqu'à se mettre en rapport avec le fantôme de leur ancêtre et fera appel à un sorcier congolais. Elle devra même consulter un masque afin de pouvoir obtenir la libération de son oncle.

Ce voyage, drôle et insolite, est aussi une balade instructive : le lecteur parcourt un petit pays au grand cœur et aux insolubles problèmes linguistiques, en découvre les particularismes et l'histoire au centre d'un récit où le rire et le mystérieux ont décidé de se donner la main pour une nouvelle aventure de Zapinette.

Zapinette est une drôle de petite fille, une sorte d'ouragan de la famille de Zazie de Raymond Queneau. Un rêve d'écrivain ! Un personnage trublion qui, du haut de ses douze ans, nous décrit le monde dans lequel, sérieux et naphtalines dans nos conventions, nous évoluons.

Zapinette, les conventions, elle les dynamite ! Avec toute la justesse de vue des enfants et cette logique qui nous paraît bizarre parce qu 'absolue, sans concession. En fait, c'est nous qui l'avons perdue de vue, la logique. Malgré notre rationalisme, nos maximes et nos règles de vie (qui s 'y conforme réellement, totalement ?). Zapinette observe nos entorses, nos grands-écarts, nos contorsions pour tâcher de retomber sur nos pieds, oublier qu 'une fois déplus, nous venons de nous trahir. De trahir l'enfant qui est en nous et que nous ne voulons plus connaître. Au nom de notre statut d'adulte. Zapinette possède des armes. Un jugement foudroyant, une intelligence des gens, une capacité d'indignation et de colère qui pulvérise l'adversaire. Et quand l'énergie est trop forte, qu'elle est au bord de l'implosion, elle se tourne vers son paratonnerre : Tonton.

Ah, son Tonton ! Comme elle l'aime ! Tout en illustrant avec constance le proverbe : "Qui aime bien châtie bien". Car il en voit de toutes les couleurs, le brave homme. C'est qu 'il n 'est pas habitué aux enfants, il n 'en a pas. Et qu 'il a beau représenter le monde des adultes, il est depuis toujours dans la marge, dans la lune, hors de tout. Et puis, lui aussi, il l'aime, sa Zapinette. On peut même dire que, sans en avoir l'air, il lui donnerait quelque chose qui ressemble à une éducation. Une éducation solide, faite de liberté, de fantaisie et de culture. Qu 'il comblerait le vide de ces papas que maman n'arrive pas à garder. Ou ne veut pas garder. Zapinette le sait bien, même si la "féministe " qu 'elle est le houspille souvent... Albert Russo nous offre un personnage jubilatoire, avec un cœur énorme (à la mesure de ses colères, et elles sont nombreuses). Avec talent, il nous le montre à travers les yeux sans complaisance d'une enfant. Et c 'est une réussite. Car le regard est bien celui, recréé, d'une gamine qui ne comprend pas toujours ce qui se passe. Ce n 'est pas de son âge, dans le sens où ça ne fait pas partie de ses préoccupations. Et pourtant, se dessinent devant nous des portraits d'une grande finesse, des personnages riches... Et puis, il y a le langage. Du grand art. Albert Russo joue des mots en virtuose. Comme pour dénoncer, avec humour, les travers de notre société. Elle ose tout. Tord le vocabulaire, invente des mots. Mais jamais de manière gratuite. C'est qu 'elle traque leur "substantifique moelle ". Avec une créativité bouillonnante. Les aventures de Zapinette sont censées être écrites pour des lecteurs de 10 à 14 ans. Franchement, c 'est tellement drôle, tellement bien écrit, avec plusieurs degrés de lecture, qu 'on peut s'en régaler à tout âge. Ce serait vraiment dommage de s'en priver. Jubilatoire !

Zapinette chez les Belges, Albert Russo, Ed. Hors Commerce, Collection Hors bleu, 2002, ISBN : 2910599965


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com


Du même auteur : Sang mêlé ou ton fils Léopold


L'ensemble des histoires de Zapinette reparaît chez Textes Gais sous le titre "Les Aventures rocambolesques de Zapinette et de son tonton homo", 2017, ISBN : 979-1029402340

« Avec la série des Zapinette, Albert Russo aborde, avec beaucoup d’humour, la vie de tous les jours vue par les yeux d’une enfant. Une enfant qui se nourrit des frustrations des autres, qui ingurgite du vocabulaire en même temps que des images télévisées. Entre sa mère qui connaît des amours multiples et son oncle qui est un mot sessuel, c’est-à-dire un homosexuel, elle intercepte une multitude d’informations de la vie dont le sens est bien inscrit, mais où les liaisons orthographiques se font selon un décodage personnel, lié à l’âge et à la compréhension sémantique. Les gens qu’elle fréquente sont parfois amnésiatiques, la situation patatique et les phrases ézootériques. Son petit frère n’aime pas qu’on l’abandonne à son sort d’anal-fa-bête, et lorsque la situation est tendue, on devient psycho-patte. Son éducation est influencée par son oncle mot sessuel, qui l’emmène du Parc Mon Seau, en Italie, où elle regarde les tableaux de Chat-Gale et de Pique-Assiette. Zapinette, surnom de l’enfant, acquiert un esprit d’observation et une perspicacité d’adulte. Elle saisit, au plus près, les failles de notre société. Pas question de devenir, comme les autres, un objet de consommation. Elle sera une féministe. N’empêche qu’en s’affirmant en tant que femme, il faut bien accepter d’être consommée, au même titre que les hommes. Zapinette, qui découvre trois continents avec son tonton déjanté, nous apporte ce sang neuf d’une lecture pleine de charme, au langage succulent, où l’humour et la dérision nous détachent de la médiocrité. »

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