De collectionner les timbres, Håkan Lindquist
Apprenant le décès brutal de son ami d'enfance Samuel, Mattias, la quarantaine, se remémore: il avait douze ans, Samuel cinquante; le premier cherchait un camarade, le second vivait dans le souvenir de Vilhelm, son unique amour, un jeune marin rencontré à l'aube de sa majorité. Les obsèques de Samuel sont l'occasion pour Mattias de retrouver le coffret que Samuel et lui avaient caché dans le clocher d'une église. Il y découvre une lettre du défunt où celui-ci divulgue le secret que jamais il n'avait voulu révéler.
Car pourquoi Samuel était-il si nostalgique, si triste au point de consacrer sa vie à sa seule collection de timbres, de laisser filer les plaisirs de l'existence, de rêver à un ailleurs au lieu de voyager ? Parce que Vilhelm qui préférait la mer, les voyages, n'était pas resté auprès de lui ? Parce que lui-même avait renoncé à l'amour ? Ou pour une autre raison inavouable ?
Håkan Lindquist livre une nouvelle fois un récit à l'écriture aérienne et poétique, où hier et aujourd'hui s'entremêlent au rythme des souvenirs du personnage.
MES EXTRAITS
page 129 :
« (Mattias s’adressant à sa mère) - Savais-tu... les gens de ton âge, de l'âge de Samuel, comprenaient-ils qu'il était homosexuel ? Je veux dire, quand vous étiez jeunes.
(La mère de Mattias) - Je ne sais pas. Je crois que oui, même si je ne... je ne savais pas vraiment de quoi il s'agissait. Pas plus que je n'avais vraiment de mots pour le dire, peut-être. En fait, je ne le connaissais pas personnellement, je te l'ai déjà dit. Mais évidemment, dans une petite ville, tout le monde se connaît plus ou moins. Ou croit se connaître. »
Chapitre 14 - page 195-196 :
«Après le petit-déjeuner, je m'assois à mon bureau avec un expresso. J'allume l'ordinateur et regarde par la fenêtre. Il pleut à nouveau, la pluie s'abat en rafales contre la vitre, formant des cascades intermittentes. Je prends une gorgée de café et ouvre le document intitulé Lettres de Samuel afin de poursuivre la tâche que je me suis fixée, à savoir taper les photocopies des textes du coffret trouvé dans le clocher. L'écran se couvre de signes, les signes s'assemblent en mots et en phrases - sous forme de sémèmes et de syntaxe. Ce sont les mots et les phrases de Samuel, les rêves et les désirs de Samuel. Je les lis, et le son de sa voix fait écho à mes pensées.
« Mes rêves et mes désirs se sont modifiés avec les années, j'en suis tout à fait conscient. Quand j'étais jeune, je n'avais finalement qu'un seul rêve : rencontrer un autre jeune homme, quelqu'un qui veuille partager son temps, son amour et sa chaleur avec moi. J'ai rencontré Vilhelm "Willam" Sand le marin lorsque j'avais dix-sept ans. Jamais jusqu'alors je n'avais ressenti un désir aussi violent, jamais jusqu'alors je n'avais eu aussi peur de perdre quelqu'un. Et je l'ai perdu. En réalité, ma vie aurait tout aussi bien pu s'arrêter là, le jour où il m'a quitté. De fait, elle s'est arrêtée là. Et à présent... Mon compagnon depuis l'adolescence, Vilhelm Ekelund, est à travers ses poèmes aussi bien un réconfort qu'un tourment. "Je voyage vers un soir qui tombe lentement, sans ami aucun." C'est ainsi. Et le fait de ne pas être le seul à éprouver un tel sentiment, est un réconfort. Mais j'aurais voulu qu'il en soit autrement. Et c'est un tourment de tous les instants. »
« J'ai compris ce jour-là qu'il ne resterait jamais avec moi, qu'il repartirait toujours. Peut-être que jusqu'à ce jour, j'avais espéré qu'il changerait, qu'il se poserait quelque part. Qu'il trouverait le repos. Avec moi. C'était ça, mon rêve. C'était ce que je voulais. J'étais... trop fragile, seul. J'avais besoin de lui. Ou de quelqu'un comme lui. »
Je passe en revue le texte déjà tapé et retrouve un autre passage, quelques phrases d'une lettre du coffret, écrite juste après la première rencontre de Samuel et Willam.
« Il est toute ma vie, il est le noyau dur autour duquel ma vie a un sens. Il est aussi le seul, excepté maman, qui connaisse mon secret. Je ne voudrais pas vivre un seul jour sans lui. Je ne pourrais pas vivre un seul jour sans lui. Pas maintenant que je sais. Tout ce que ma vie a de triste et de pénible est contrebalancé par ce que j'ai pu vivre avec Willam jusqu'à présent. Il est l'explication de tout, la lumière de ma vie. J'ose presque penser que je l'aime. Je ne crois pas que cela puisse être plus fort que ce que je ressens maintenant. Je ne crois pas qu'un autre être humain puisse me toucher à ce point. »
Chapitre 15 - page 213 :
…C'est une histoire effroyable, Mattias, et une vérité effroyable. Je l'ai portée beaucoup trop longtemps. Mais ce n'était qu'un accident, même s'il méritait... Non, je ne sais pas si je peux encore dire une telle chose. Il était monstrueux. Toute ma vie j'ai associé les mots « méchanceté » et « violence » à l'homme qui était mon père. Il est mort un soir, alors que je n'avais que dix ans, mais il ne m'a jamais laissé en paix. Ça a été mon châtiment. Il existe des secrets de toutes sortes. Certains sont trop lourds à porter, et ne peuvent avoir qu'un effet dévastateur. Tu trouves peut-être qu'il est inutile que je te raconte tout cela. Mais j'y tiens. Tu sais tellement d'autres choses sur moi et sur ma vie. Et je crois que ça explique beaucoup de choses, des choses que tu t'es peut-être demandées. Car quoi qu'on dise, tout ce qui arrive dans la vie d'une personne dépend de ce qui s'est passé auparavant. Ou, comme disait Carolina quand j'étais petit : tout est lié. Ça peut paraître étrange, mais je me plais à penser que tu es le seul, hormis Willam, que j'ai osé aimer.
Ton ami
Samuel
L'auteur : Håkan Lindquist est né en 1958 dans une petite ville du Småland, sur la côte est de la Suède. II vit à Stockholm depuis l'âge de dix-neuf ans, où il a travaillé auprès des enfants puis dans une librairie et un magasin de disques. L'écriture l'accompagne depuis son plus jeune âge mais il ne publie son premier roman « Mon frère et son frère » qu'en 1993. Autodidacte et curieux de tout, Håkan Lindquist offre une place de choix dans sa vie à l'art, sous toutes ses formes: musique, sculpture, peinture, littérature.
■ De collectionner les timbres, Håkan Lindquist, Editions GAÏA (Taille Unique), 2004, ISBN : 2847200304
Du même auteur : Mon frère et son frère
Lire l'article de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com