Epicure à contre-courant
Épicure (341-vers 270 avant J.-C.) fut contemporain d'Alexandre le Grand. Pourtant, sa grande affaire ne fut pas la politique, mais l'amour. Et donc la mort.
Car on n'aime pleinement qu'à condition de savoir que le temps nous est compté. Politiquement, Épicure apparaît comme l'anti-Aristote : il prône le retrait du monde. Le sage, rappelle-t-il, doit vivre en marge des affaires de la cité.
Une véritable révolution, à l'époque ! Car tout, dans la Grèce du IVème siècle, prend sens à partir du rapport de l'homme à l'Etat. [L'épicurisme n'est possible, qu'à cause de la bataille de Chéronée - victoire de Philippe de Macédoine sur les Athéniens- , grande fracture dans la belle totalité grecque : soudain, la cité grecque perd son autonomie et le salut doit se trouver ailleurs.]
Le parallèle est frappant entre l'époque d'Épicure et la nôtre : la foi en la politique a disparu, rejoignant dans les limbes la foi en nos dieux. Le salut, pour nous, doit désormais se chercher ailleurs que dans la vie politique.
Mais où ?
A cette question, Épicure apportait une réponse que nous devrions méditer.
Encore faut-il s'entendre sur le sens de ce mot. Le bonheur n'est pas le confort, encore moins la possession de biens, et surtout pas les honneurs ou les babioles qui accompagnent la reconnaissance sociale. Non, le vrai bonheur consiste à vivre débarrassé des superstitions :
- Au premier rang d'entre elles, LA CROYANCE EN L’INTERVENTION DIVINE. Rien à voir avec l'athéisme. Simplement, explique Épicure, les dieux vivent en des sphères qui nous éloignent d'eux à jamais. Il est dans leur nature divine de ne pas s'occuper des mortels ; ce serait déchoir de leur rang que de veiller sur nous.
- Autre croyance néfaste : LA PEUR DE LA MORT. « Familiarise-toi avec l'idée que la mort n'est rien pour nous », ose écrire Épicure. Si la mort n'est rien pour nous, c'est qu'elle est absente lorsque nous sommes en vie et n'apparaît qu'au moment où nous ne sommes plus là : il ne peut donc jamais y avoir coïncidence entre nous-même et notre propre mort. Ainsi, imaginer le moment de notre mort est absurde : si on ne peut se représenter la mort, la craindre est vain. Cette crainte est le produit de l'imagination, de la superstition. Épicure ajoute à cet argument logique un argument « physique » : la mort, écrit-il, représente la dispersion des atomes dont nous sommes composés ; or, ces atomes sont éternels, remis à la disposition de l'univers pour se reformer en d'autres corps. Cette idée suppose qu'à travers notre mort se met en place une immortalité qui n'est plus celle de l'âme (comme ce le fut pour Platon et Aristote et comme ce le sera pour les penseurs chrétiens), mais celle des atomes.
Refuser les dogmes et les superstitions permet au sage de se tenir à l'écart de la douleur.
Reste les DOULEURS LIÉES AUX PASSIONS. Pour les éviter, Épicure invite à distinguer les plaisirs : tous ne se valent pas. Ainsi l'épicurien choisit les plaisirs « naturels et raisonnables ». Il prend peu, et uniquement ce qui conduit à la paix du cœur. S'il aime, s'il vit intensément, c'est parce qu'il sait qu'il va mourir, que le présent est le seul temps du bonheur.
Cette morale de l'urgence est aussi une éthique de l'instant. Pour le temps présent.