Une œuvre - un choc : le Cyclop de Jean Tinguely
Un entrelacs d'arbres dans lequel s'insère une œuvre qui tient du Palais idéal du Facteur Cheval, de l'invention d'un chercheur extravagant et du reste étrange des héros antiques. Malgré ses 22 mètres de haut, le Cyclop, de Tinguely - appelé aussi la Tête ou le Monstre - ne se dévoile qu'au dernier moment. On l'entend avant de le voir, surpris par le vacarme métallique en pleine nature. Ce « monstre super-monumental », selon les mots de l'artiste, paraît directement issu de rêves d'enfant. Son œil brille, sa langue est un toboggan qui plonge dans un bassin. De temps à autre, le grondement de boules d'acier dégringolant avec rudesse ébranle cet amas de ferraille. À l'intérieur, les lieux prennent une logique nouvelle. On se trouve au cœur d'un cerveau humain, dans lequel se mélangent des souvenirs (la reconstitution de la chambre de bonne où vécut Spoerri à son arrivée à Paris, en 1952) ou des bandes vidéo en hommage à mai 1968, des réflexions comiques (une pièce de théâtre mettant en scène la tragique rencontre d'un marteau et d'une bouteille emplie d'eau), des peurs et des désirs (le grand tuyau de « l'incitation au suicide », le super-billard mécanique, le flipper…)
Je suis à la fois désorienté et amusé, mis en état d'alerte par un environnement en tout point différent de mon univers familier. Je ris, mais comme pour cacher une grimace intérieure. De ce frisson qui tient à l'évocation du peintre Yves Klein, décédé prématurément, aux souvenirs de la déportation [avec la présence d’un ancien wagon des années 30, qui a servi aux transports des Juifs], à la mort qui est, ici, partout présente. Sans compter que bien des points de cette drôle de machine sont dans un état précaire, proches de la panne. Et c'est là que je mesure le sens de l'art de Tinguely. Il ne voulait pas imiter le monde mécanique, mais nous entraîner dans une réflexion sur la brièveté de l'existence. «Je suis un artiste du mouvement, déclarait-il, parce que dans le mouvement il y a toujours la panne, dans le mouvement il y a toujours le pépin, l'arrêt. Le mouvement, c'est la vie, et dans la vie, il y a toujours la mort ! »
Une équipe de sculpteurs fous : Jean Tinguely a rassemblé une équipe d'amis pour ce travail qui prolonge l'épopée de mai 1968. Outre Niki de Saint-Phalle, Daniel Spoerri, Bernhard Luginbühl, Sepp Imhof, Soto, Eva Aeppli, Jean-Pierre Raynaud, César, Arman... ont contribué à cette œuvre commune. Au plus haut niveau, un bassin d'eau bleue constitue un hommage à Yves Klein, un grand peintre du « Nouveau Réalisme », mort en 1962.
Y aller : Le Cyclop se trouve dans la forêt de Milly-la-Forêt (Essonne), non loin de Fontainebleau. La sculpture ne peut se visiter qu'en groupe et avec un guide (la visite est interdite pour raisons de sécurité aux enfants de moins de 10 ans). Ouverture du 1er mai au 31 octobre, uniquement les samedis et dimanches.