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Quelles sont les finalités de l'individu ?

Publié le par Jean-Yves Alt

« … il y a une finalité en boucle au sein de la trinité humaine où chaque terme est à la fois moyen et fin de l'autre : individu-société-espèce.

Ainsi, les finalités de l'individu, en s'inscrivant dans cette trinité, sont à la fois au-delà de lui-même et en même temps vouées à lui-même. Effectivement, sa qualité de sujet comporte le pour-soi égocentrique, mais en même temps le don de soi, où l'être égocentrique s'inscrit dans une finalité pour un Nous ou pour Autrui.

La finalité égocentrique suscite un travail incessant pour survivre : se nourrir, se soigner, se protéger, et, selon la juste expression, "gagner sa vie".

Mais l'individu ne vit pas pour survivre, il survit pour vivre. C'est-à-dire qu'il vit pour vivre.

Que signifie vivre pour vivre ?

Vivre pour jouir de la plénitude de la vie. Vivre pour s'accomplir. Le bonheur constitue certainement la plénitude de la vie. Mais il peut prendre de multiples visages : l'amour, le bien-être, le mieux-être, l'action, la contemplation, la connaissance. La pluralité des fins signifie aussi la pluralité des moyens pour s'accomplir. Nous pouvons par philosophie ou par éthique considérer que l'épanouissement et la libre expression des individus constituent notre finalité principale, sans toutefois penser qu'ils constituent la seule finalité de la trinité individu-société-espèce.

Il peut y avoir, dans cette pluralité de finalités possibles, conflit de finalités, ou parasitisme de la finalité par le moyen qui devient finalité. Ainsi, l'accumulation d'argent, moyen pour accéder à la richesse, devient finalité en suscitant l'avarice. La dépendance mutuelle, moyen qui nourrit un amour, se dégrade en possessivité, qui devient sa propre fin. Dans l'égocentrisme individualiste, les finalités individuelles peuvent dévorer la finalité de l'espèce et la finalité sociale. L'amour et la volupté peuvent alors utiliser l'acte reproducteur pour s'accomplir et en éliminer les conséquences reproductrices par coït interrompu, préservatifs, pilules.

Il n'y a … pas une finalité impérieuse subordonnant toutes les autres. Les fins de l'individu sont à la fois plurielles, incertaines, complexes. Il y a possibilité d'élire des finalités (y compris la finalité trinitaire qui a cessé de s'imposer d'elle-même dans notre civilisation). Parmi ces finalités, tout ce qui donne poésie à la vie, l’amour au premier chef, est à la fois fin et moyen de soi-même.

Dès lors, survivre pour vivre prend un sens quand vivre signifie vivre poétiquement. Vivre poétiquement signifie vivre intensément la vie, vivre d'amour, vivre de communion, vivre de communauté, vivre de jeu, vivre d'esthétique, vivre de connaissance, vivre à la fois d'affectivité et de rationalité, vivre en assumant pleinement le destin d'homo sapiens-demens, vivre en s'insérant dans la finalité trinitaire. »

Edgar Morin, La Méthode, 5. L’humanité de l’humanité, L’identité humaine, Seuil, 2001, ISBN : 2020227150, pages 145-146

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