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La mort a disparu de nos yeux

Publié le par Jean-Yves Alt

Woody Allen a dit : «Ce n'est pas que j'aie peur de mourir. Je veux juste ne pas être là quand ça arrivera.»

La mort : voilà un sujet qu'on voudrait bien enterrer, mais jamais Thanatos ne s'est autant rappelé à notre bon souvenir… l'affaire Humbert déclenchant ce grand débat sur l'euthanasie, le livre de Noëlle Châtelet, «la Dernière Leçon» (Seuil, août 2004, ISBN : 2020592584), qui raconte le suicide annoncé de sa mère, celui de Dominique Bromberger, revenu d'un long coma, «Un aller-retour» (Robert Laffont, octobre 2004, ISBN : 2221098080), le film «Rois et reine» (décembre 2004), d'Arnaud Depleschin où l'héroïne met fin aux souffrances de son père agonisant, et enfin celui d'Alejandro Amenabar, «Mar adentro» [1], dont le personnage central, tétraplégique cherche à quitter ce monde.

…comme s’il y avait un besoin profond de sortir la mort de l'ombre.

Et pourtant, la mort réelle, la nôtre et celle de nos proches, a disparu de nos vies. Comme ci plus on voyait la mort des autres, et plus on évitait la réflexion sur sa propre finitude.

La mort est devenue taboue, les cadavres indécents. Et comme on «parque ses vieux», on cache ses chers disparus.

La mort a pourtant été, jusque dans les années 50 plutôt considérée comme une fatalité biologique ou divine. Mais avec le recul de la religion, et les progrès de la médecine, la voici devenue injuste. De plus, elle a quitté la sphère de l'intime. Aujourd'hui, les 3/4 des Français meurent à l'hôpital ou dans une institution, seuls.

Mourir dans son lit devient plus que rare. L'urbanisation, l'atomisation des familles, la médicalisation de la vieillesse ont fait disparaître les rituels funéraires. Dans les zones urbaines, les obsèques sont quasiment invisibles. Même les corbillards (gris ou bordeaux) passent inaperçus. Comme si le deuil dérangeait.

Nous rêvons presque tous d'une «bonne mort», c'est-à-dire rapide, sans douleur et sans conscience. Est-ce un sujet de discussion dans les familles... il est peu probable.

Ce silence imposé, cette peur de la mort provoque en réaction, l'émergence de néo-rituels voire de grands mouvements de deuil collectif spontanés, comme à la disparition de Lady Di...

Il est sans doute utopique de vouloir continuer à mourir chez soi mais au fait, mourir dignement, ça veut dire quoi exactement ?

[1] MAR ADENTRO

Synopsis : À la suite d'un accident dont il a été victime dans sa jeunesse, Ramon ne peut plus bouger que la tête. «Enfermé dans son corps», il vit depuis presque trente ans prostré dans un lit. Sa seule ouverture sur le monde est la fenêtre de sa chambre à travers laquelle il «voyage» jusqu'à la mer toute proche ; cette mer qui lui a tant donné et tout repris. Pourtant très entouré par sa famille, Ramón n'a plus qu'un seul désir : pouvoir décider de sa propre mort et terminer sa vie dans la dignité...

[Comment quitter ce monde lorsqu'une paralysie empêche d'accomplir soi-même le geste fatal. Telle est la problématique du film «Mar adentro» interprété par Javier Bardem, ci-contre.] Mar adentro est tiré d'une histoire vraie. Celle de Ramon Sampedro, devenu tétraplégique à la suite d'un accident, et qui s'est battu durant vingt-neuf ans pour le droit à l'euthanasie. Au terme d'une longue bataille juridique qui ne lui permit pas d'avoir gain de cause, Ramon Sampedro décida de mettre lui-même un terme à ses souffrances. Le 12 janvier 1998, grâce à l'aide de onze amis, il se donne la mort. Aucun de ses «complices» ne fut accusé, car Sampedro brouilla habilement les pistes, chacun ayant une mission secrète ne l'impliquant pas de façon certaine dans la mort de leur ami : l'un avait les clefs de son domicile, l'autre acheta le cyanure, le suivant plaça le verre sur la table de nuit, le quatrième plongea la paille et ainsi de suite jusqu'au dernier qui filma Ramon, sourire aux lèvres, quelques secondes avant sa mort.


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