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René Crevel, par Michel Carassou

Publié le par Jean-Yves Alt

Écrivain-né, homme fait écrivain ou écrivain fait homme, René Crevel incarne de façon exemplaire une brève existence qui se confond avec les livres publiés. René Crevel se vivait écrivain ; le reste – si important et nécessaire pour comprendre l'acte de témoigner et d'écrire – coule de source.

Les amours, la maladie qui le hante, l'engagement dans le surréalisme et, sous une forme moindre, dans la politique, les amis, la mère et la famille... ne sont que les pulsions ou les blessures jamais pansées sur lesquelles l'œuvre se bâtit.

Michel Carassou a bien su intégrer l'étude des livres en gestation, les exaltations et les douleurs de l'amour, la quête effrénée des plaisirs, les plages de solitude imposées par la maladie et la création, la souffrance d'une tuberculose sans cesse guettant sa proie. René Crevel vit pour écrire, il écrit pour vivre. Sa vie est aussi l'écho du monde qui l'entoure et de l'histoire qui le porte. Elle est la matière première d'une production littéraire nombrilique mais aussi victorieusement en résonance avec son temps.

René Crevel était homosexuel, comme il est difficile de le concevoir aujourd'hui. Né en 1900, René Crevel s'épanouit très tôt, après une enfance meurtrie par la tyrannie maternelle. Il vit sa différence comme l'expression subversive de son indépendance. Dans les années 20, en France et en Allemagne notamment, le milieu artistique comptait nombre d'homosexuels qui se fréquentaient, se soutenaient, avec élégance et un brin de provocation. Les marins, soldats, et autres prolétaires, qui facilement partageaient ces amours, inscrivaient l'homosexualité dans la découverte ludique des perversités qui libèrent l'individu des carcans réducteurs d'un mode de vie uniforme.

Michel Carassou montre un René Crevel authentique, draguant les poupes (pédés de l'époque) sans complexe, avec comme seule restriction le temps perdu à satisfaire les délicieuses exigences des sens.

Le biographe révèle aussi un André Gide humain, amoureux de Marc Allégret, un Jouhandeau et une Élise maîtres de leur connivence, un Klaus Mann totalement conscient de son homosexualité.

À travers René Crevel, beau, aimé, charmeur, adulé, supérieurement intelligent, travailleur et fougueux amoureux des beaux corps et des aventures, au-delà d'une image de l'homosexualité exhibée avec lucidité, c'est la conscience d'une liberté individuelle et intime dans l'intelligentsia européenne, entre 1920 et 1935.

René Crevel aima les hommes et quelques femmes. Il aima surtout le plaisir. Deux hommes marquèrent sa vie amoureuse : le peintre américain Eugène Mac Cown, le dessinateur allemand Rudolf Carl von Ripper. Deux femmes sont à ses côtés : Mopsa Sternheim, allemande, par la suite antinazie (comme le fut Klaus Mann, fils de Thomas), femme superbe, ambiguë, bisexuelle le grand amour de René sans doute, et Tota Cuevas de la Serna, argentine, riche et généreuse.

Ces amours montrent aussi l'internationalisme du monde artistique, une fusion intellectuelle si bénéfique quant à l'ampleur et la richesse de la création avant la Seconde Guerre mondiale. Le livre de Carassou est sur ce point un excellent document historique, comme il l'est sur le surréalisme (on sait l'attachement quasi filial de Crevel pour André Breton et Paul Eluard). Époque florissante où se côtoyèrent dans un respect – et parfois des luttes fratricides – les plus grands écrivains et les peintres les plus illustres. Époque exceptionnelle où soudain se développe le nazisme

« ... Intellectuels de tous les pays, unissez-vous aux prolétaires de tous les pays. » On est le 1er mai 1935. René Crevel, malade, atteint aussi aux reins (tuberculose toujours), sait que l'heure est grave. Il regrette que Breton n'ait jamais voulu parler de l'homosexualité de son disciple. Il continue à croire que « ... rien de ce qu'on a coutume de nommer un vice ne m'a jamais empoisonné ni même arrêté. Toutes mes soifs (soifs corporelles, soifs d'alcool, soifs de drogues, d'eau pure et d'encre) ont pourtant réussi à construire [...] cette synthèse qu'est ma vie. »

René Crevel se suicide. Il a 35 ans. Il avait dit : « Dès qu'il y a puritanisme, il y a danger pour la révolution... Si j'écris un nouveau roman, je veux qu'il soit très explicite du côté sexuel. »

■ René Crevel, par Michel Carassou, Éditions Fayard, 1989, ISBN : 221302314X


Petite bibliographie de René Crevel : Détours – La mort difficile – Les pieds dans le plat – Mon corps et moi

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D
A lire absolument
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