L'œuvre au noir de Ben-Ami Koller
On ne peut pas simplement « passer » devant les œuvres de Ben-Ami Koller. N'y jeter qu'un regard furtif et s'en détourner aussitôt, c'est déjà être pris au piège, c'est déjà réagir et tenter vainement l'indifférence pour se protéger du choc d'un travail sans complaisance.
D'une toile à l'autre, nulle place où je peux poser mon regard sereinement : cette œuvre ne me ménage aucune halte, aucune aire de repos.
Il me faut fuir ou m'y enfoncer de plus en plus profondément, surmonter ma réticence et oser voir. Oser voir ces hommes aux corps déformés, distordus, ces yeux hagards, porteurs d'une inquiétante résignation que désavouent les mains tendues, les bouches parfois ouvertes sur un cri qu'il me semble entendre.
Cet au-delà de la douleur, je le perçois de plus en plus intensément au fur et à mesure que l'œuvre apprivoise mon regard : je découvre alors cette mise en abîme de la souffrance jusqu'à en avoir le vertige.
Rien d'accessoire ou d'illusoire dans ces singuliers portraits, aucun décor, aucune mise en scène n'en altèrent la force.
Ben-Ami Koller – Série Auschwitz – 2007
Huile sur toile, 140 x 140cm
Ben-Ami Koller montre uniquement le corps de l'homme, mis à nu, dépouillé de tout vêtement, dépouillé aussi de toute apparence réconfortante. Sa recherche rappelle jusque dans son absence de concessions celle d'un Léonard de Vinci, qui n'hésitait pas à disséquer le corps humain pour en comprendre les mécanismes les plus secrets, pour savoir mieux le peindre.
Le scalpel de Ben-Ami Koller est un pinceau noir avec lequel il met minutieusement à découvert, à vif, mon âme, mes angoisses premières.
Ces corps torturés sont la lancinante et brutale représentation d'une question jamais résolue, d'un « pourquoi ? » existentiel qui reste sans réponse.