Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Enceinte du tribunal par Marcela Iacub

Publié le par Jean-Yves Alt

Aux yeux de la loi française, la filiation s'établit par le ventre : c'est l'accouchement qui fait la mère, Marcela Iacub récuse la législation actuelle et propose une nouvelle définition de la maternité, fondée sur la volonté.

L'Empire du ventre, Pour une autre histoire de la maternité Marcela Iacub, Éd. Fayard, coll. Histoire de la pensée, 353 p., 20 €

Dans un État où « nul n'est censé ignorer la loi », mais où peu la connaissent l'étude de Marcela Iacub sur le droit de la filiation est une bénédiction : voici une juriste qui n’hésite pas à retrousser ses manches et à expliquer au profane ce que dit le droit. L'Empire du ventre n'est pas pour autant un manuel. Il défend avant tout une thèse : le droit français de la filiation issu des réformes des années soixante-dix ne relève pas de la nécessité. Le Code Napoléon de 1804 avait instauré d'autres règles à son propos. À quelques aménagements près, ces règles seraient aujourd’hui plus émancipatrices pour les mères, les pères et les enfants que l’ordre juridique actuel.

Ce Code avait instauré un droit de la filiation fondé sur l'acte du mariage « Les enfants ne naissaient pas des corps, mais des mariages. » Un homme et une femme mariés pouvaient établir un lien de filiation avec un enfant même s'ils n'en étaient pas - ni l'un ni l’autre ou l'un d'entre eux-les parents biologiques. Une femme mariée n'avait pas besoin d'accoucher d'un enfant pour être reconnue comme sa mère par le droit ; de leur côté, les femmes célibataires pouvaient accoucher sans devenir mères au regard du droit. Depuis 1972, rien de tel : une femme mariée n'est plus automatiquement la mère des enfants qu elle élève ; c'est l'accouchement qui la rend mère au regard du droit qu'elle soit ou non mariée, que le père souhaite ou non cet enfant.

Cet ordre juridique de la filiation par le ventre et par la mère n'est pas total puisqu'il permet à une femme d’accoucher sous X en créant la fiction d'après laquelle l'accouchement n’a pas eu lieu. Certes, cette incohérence est en passe d'être corrigée, la loi de 2002 cherchant à concilier l'accouchement sous X avec la reconnaissance du droit à connaître ses origines. Par ailleurs, il est mis à mal par les revendications de ceux et celles qui entendent être reconnus père et mère en droit sans grossesse ni accouchement, en recourant à des mères porteuses.

Marcela Iacub entend renouer avec l’esprit du Code Napoléon et faire primer la volonté des individus à devenir ou non parents sur un double fait de nature (la femme, et non l'homme porte l'enfant pendant les neuf mois de grossesse et accouche) : « Un lien de filiation ne serait jamais porté que par la volonté [...] Réciproquement, nul ne serait tenu de reconnaître un enfant qu'il a mis au monde ou qu'il a conçu.» Elle excelle à diaboliser la nature et la « vérité de la chair », auxquelles elle désire substituer le projet parental. L'idée que les «organes» puissent « sécréter » le droit lui fait horreur. Elle n'accepte pas l'idée qu'il y ait dans l'existence humaine des événements incontrôlables, une part d'indécidable. Aux « fourmillements de spermatozoïdes », aux « douleurs de l'accouchement», au «ventre», et aux « "causes" magiques de la filiation », elle préfère « des modèles purs, pour ainsi dire, de tout frottement, des constructions rationnelles susceptibles de guider l'action ».

Son ambition à la fois sociale, familiale, politique et juridique, est de sauver de l'arbitraire de la nature et d'un droit mal conçu les femmes qui se seraient contentées d'accoucher (sic) d'enfants qu'elles ne veulent pas élever, les hommes qui fécondent des femmes dans un moment d'égarement (sic) et les enfants qui viennent au monde. Elle cite en exemple la Californie, cet eldorado du XXIème siècle, univers de rationalité et de volonté où tout est possible.

La critique énoncée par Marcela Iacub est souvent justifiée. On aimerait toutefois que la certitude implacable avec laquelle elle est énoncée se craquelle de temps à autre. Elle en serait d'autant plus recevable. Tout en produisant bel et bien une définition de la maternité, Marcela Iacub ne prend pas le temps de s'interroger avec le lecteur sur ce qu'est la maternité, de justifier son approche exclusivement juridique et son parti pris de la fiction comme procédure juridique. Elle ne se demande pas si la vérité qu'elle oppose à l'empire du ventre - « l'accouchement est l'affaire de l'État » - ne recèle pas des dangers aussi grands que ceux d'un droit fondé sur la nature. Or, ce qu'est une filiation épanouissante pour les enfants, fruits étonnés de l'égarement masculin et de la magie du ventre féminin, le savons-nous ?

Le Magazine Littéraire n°437, pp. 82-83, Marie Gaille-Nikodimov, décembre 2004 

Commenter cet article