Le disciple aimé, Abel Hermant (1895)
Une histoire d'amour entre deux garçons. Ce roman demeure essentiellement psychologique et d'une psychologie très émouvante quand elle fait vivre une amitié entre deux jeunes héros de l'esprit, Jean-Baptiste Merminod et George Moore.
Dans cet ouvrage, Abel Hermant ne craint pas d'exposer ses véritables sentiments, puisque déjà il parle à visage découvert d'une histoire d'amour entre deux garçons. Le plus âgé des deux, Jean-Baptiste, grand garçon maigre et phtisique de dix-sept ans tombe follement amoureux de son cadet George, le petit Georgie comme il l'appelle affectueusement.
Il est vrai que le jeune garçon dans la simplicité de sa beauté enfantine est charmant ; Jean-Baptiste est littéralement subjugué par lui, lors de leur première rencontre :
« Merminod vit alors le visage blond et rose, les cheveux – comme il tenait son chapeau à la main – les cheveux séparés par une raie sur le côté gauche, à l'anglaise, et sous les sourcils presque invisibles, les beaux yeux grands et clairs, à qui les longs cils incolores ne donnaient point de mystère ou de mélancolie, mais une vivacité pâle et douce. Il admira la distinction des traits, le beau front haut et large, le nez bien dessiné, et animé à l'extrémité d'un mouvement qui parfois le rendait presque aquilin ; surtout la bouche taillée en pleine chair, petite, aux lèvres fermes et fortes, l'ovale sans défaut du visage ; l'irréprochable proportion de toutes les parties ; la franchise de cette beauté d'enfant, qui était justement une beauté d'enfant, et ne devait son charme à aucun caractère de pensivité précoce ou de mollesse efféminée. » (pp. 10-11)
Jean-Baptiste est alors obsédé par l'image de son cadet qu'il chérit par-dessus tout et dont un simple bonjour lui bouleverse le cœur ; mais comme il se passe souvent dans ces cas-là, le désir de se rapprocher de l'enfant et de le posséder tout entier, lui aliène sa confiance et le dérobe à sa passion amoureuse. Séparé de George, Jean-Baptiste noie son chagrin dans des lettres au ton désespéré :
« Ce soir, en contemplant ta chère photographie, et en lui donnant, suivant mon habitude, un grand baiser, je me suis presque trouvé ingrat de n'avoir pas été plus affecté par ton départ.
Et deux jours plus tard : Mon George chéri, je pourrais presque commencer ma lettre, comme Goethe son Werther : Ô le meilleur de mes amis, qu'est-ce donc que le cœur de l'homme? Je t'ai quitté, toi que j'aime, toi dont j'étais inséparable! Je t'ai quitté, et j'éprouve du plaisir ! » (p. 44)
C'est la mort finalement qui le délivre de son tourment. Une mort qui le fait glisser dans l'oubli aux yeux de l'ami tant chéri. Le livre se clôt sur cette fermeture du regard, ce douloureux oubli : « Et il oublia sur la table la lettre de la mère, la lettre mouillée de larmes ; il oublia parmi les miettes de pain et les taches vineuses de la nappe l'agonie de son ami. » (p. 337)
Il y a dans cette vision de l'amour grec beaucoup de passion retenue, de piété exaltée et d'infinie tristesse. Comme si se disait là une souffrance qui n'avait pu s'exprimer nulle part ailleurs.
■ Le disciple aimé, Abel Hermant (1895), Éditions Paul Ollendorff, 1895
Ce roman d'Abel Hermant, "Le disciple aimé", est initialement paru en 1885 sous le titre "La mission de Jean-Baptiste Cruchod".
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