Parfois, dans les familles, Michel Manière
Ce qui frappe, quand on aborde aux rives bruissantes d'enfance du très beau roman de Michel Manière intitulé pudiquement : « Parfois, dans les familles », c'est qu'il y a certaines expériences dont on ne revient pas. De quoi est donc faite cette enfance qui laisse une aussi inguérissable blessure ?
Depuis le suicide du frère aîné Antoine, chaque membre de la famille a développé son caractère énigmatique – tendresse mêlée de crainte, inquiétude sourde devant la menace de la dislocation.
La vie s'est alors mise à danser sur une corde raide, et, pour le narrateur enfant Paul, il n'est pas facile de ne pas être aussi voué – par le rôle des parents et de sa sœur – à une désagrégation psychique croissante.
Il y a aussi tous ces petits riens – non spectaculaires, au sens adulte de ce mot – qui pourraient faire croire que tout va pour le mieux : les repas avec les assiettes bien remplies, une mère dévouée… et quelques incidents comme le lapin Robert qui a foutu le camp...
Les yeux fixés sur les membres de sa famille, Paul enregistre les désarrois de chacun – révélés par les paroles et les silences – qu'il traduit et d'après lesquels il invente ses propres histoires («l'enterrement de la mariée» est superbe).
Pour Paul, le narrateur enfant, comme pour l'autre narrateur sans nom (Paul adulte ?), l'imaginaire amplifie aux plus extrêmes limites une réalité perçue avec acuité.
Il y a dans ces pages une rare qualité de présence – dont se compose la suave violence des jours de l'enfance – ressuscitée par un écrivain assez sûr de son art, pour nous la faire partager.
■ Parfois, dans les familles, Michel Manière, Éditions du Seuil, février 2009, ISBN : 9782020987141
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La fatalité célibataire : Trois histoires exemplaires plus une