Cambacérès et le « petit défaut » vu par Jean-Louis Bory
« Bonaparte vivait encore. Sans doute s'occupait-il de la concentration des pouvoirs entre ses mains pour sa gloire et son profit. Mais il veillait aussi à la remise en « ordre » des choses et des gens – en un ordre qui stabiliserait une société dont il serait le chef, L'Ancien Régime était plein de tares et d'absurdité ; la Révolution avait chambardé tout sans se donner – sans que l'Histoire lui donne – le temps d'établir un ordre révolutionnaire. Il fallait « ranger » tout. Donc mettre sur pied un code civil qui ferait le point – le point final – quant aux usages, règles, directives et lois.
On raconte que lorsque fut posée la question de savoir qui voulait parler pour défendre le droit d'adoption accordé aux célibataires, Bonaparte lança, mi-figue mi-raisin :
— À vous, citoyen Cambacérès.
Y eut-il des sourires ? Celui qui était encore second consul pinça-t-il les lèvres ? Toujours est-il que, concernant les marginalités sexuelles, en particulier l'homosexualité le code reste muet. Aucune allusion. Le « petit défaut » n'existe pas. Le Code Napoléon (1) permettait à deux hommes majeurs de vivre en ménage sans risquer la prison. Merci saint Régis. Et ainsi en fut-il jusqu'à l'ordre moral de Vichy qui donna dans le Code, et pour le condamner, son nom à cet amour qui n'osait le dire. »
in Les cinq girouettes ou servitudes et souplesses de son altesse sérénissime le prince archichancelier de l'empire Jean-Jacques Régis de Cambacérès, duc de Parme, Jean-Louis Bory, Éditions Ramsay/Vie antérieure, 1979, ISBN : 2859560858, p. 183 – Troisième girouette
(1) « On considère souvent – à tort – que le Code Napoléon (1804) est à l'origine de la décriminalisation de la sodomie en France, et l'on attribue habituellement ce texte à son principal architecte, Jean-Jacques Régis de Cambacérès, dont il est pratiquement certain qu'il était lui-même homosexuel. Or le Code Napoléon est un recueil de lois qui réglementent la vie civile et dans lesquelles aucune infraction criminelle n'est mentionnée. La législation napoléonienne qui nous intéresse est en fait le Code pénal de 1810, qui n'est pas l'œuvre de Cambacérès et qui, en tout état de cause, ne fait que confirmer les dispositions antérieures. C'est à la Révolution française que revient le mérite d'avoir fait adopter, en 1791, un code pénal qui omet de mentionner la sodomie. Le député qui le présente à l'Assemblée nationale constituante souligne que le code ne proscrit que les « crimes véritables » et non pas « ces délits factices, créés par la superstition [c'est-à-dire la religion], la féodalité, la fiscalité et le despotisme ». Le blasphème, l'hérésie, le sacrilège, la sorcellerie, ainsi que les actes sexuels sans victimes tels que la bestialité, l'inceste et la sodomie font apparemment partie de cette dernière catégorie. »
in Une histoire de l'homosexualité, Robert Aldrich, éditions du Seuil, 2006, ISBN : 2020881357, page 118
On observera la filiation entre Jeremy Bentham et le code de 1791 à partir de l'article de Lionel Labosse.