Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Histoire de Volubilis, Jocelyne François

Publié le par Jean-Yves Alt

« Aller à Volubilis sera comme effacer des pas, lisser la terre autour, oublier des allées et venues incessantes pour avancer vers ailleurs, vers autrement. Peut-être. »

La ville évoquée n'est que l'éblouissant prétexte à un récit décisif : comment garder l'amour quand l'amour se dérobe ? Quand le temps affole et que chacun reste seul, physiquement près de l'autre, pour affronter le combat dont il est l'enjeu, le témoin, le partenaire ?

La pérennité de l'amour n'existe que si chacun entend le mouvement du temps mais résiste à ses meurtres.

Cécile a quitté son mari ; elle a accepté de ne plus garder totalement ses enfants pour vivre avec Elisabeth, l'aimée, l'unique. Cécile et Elisabeth ont construit leur bonheur pierre à pierre dans cette maison d'un village perdu. Les enfants reviennent, les enfants grandissent, les années passent, Cécile écrit, Elisabeth peint. Le paysage pose ses grands espaces de recueillement. Cécile est vigilante, attentive, elle sait que la vie est un pari, que le crime est de ne pas créer le quotidien amoureux avec la même endurance qu'on ose bâtir l'œuvre d'art.

Cécile et Elisabeth enfouissent leurs joies dans la maison et son jardin, portes et grille grandes ouvertes. Les autres s'arrêtent, reprennent des forces, repartent : Gala et Vaïk, jeune couple déchiré et leurs enfants, Pauline, Bernard...

Mais aussi les intrus, les étrangers qui jugent, épient, pronostiquent, détruisent. Ils sont venus rôder : Julio et Agatha. Et Elisabeth a chancelé. Histoire banale d'un coup au cœur qui sépare et annule. Elisabeth, dans son désarroi, invente des mirages qui brillent plus fort que ce quotidien d'amour tellement évident qu'il s'oublie.

« Autrefois Cécile regardant Elisabeth admirait qu'elle pût prendre une place aussi juste dans les lieux où le hasard la conduisait. Elle, Cécile, se sentait presque toujours empêtrée, séparée par des obstacles invisibles aux autres, en porte à faux. Oui, elle admirait ce don. Le corps d'Elisabeth possédait une présence légère, subtilement accordée à ses gestes. Elle aurait aimé non pas être comme Elisabeth mais Elisabeth elle-même. Maintenant cette sensation a presque disparu. Aux côtés d'Elisabeth, Cécile va, reliée enfin aux événements et aux lieux, mais c'est au moment où elle s'y attend le moins que remonte en elle d'une région enfouie le sentiment d'inaccessibilité à un état qui est le naturel d'Elisabeth. Ce sont des moments de grâce fugitive, ils annulent les années, ils font de Cécile en quelques secondes une femme sans assise plongée dans la pure admiration, voyant distinctement le fil tendu entre les choses et entre les êtres. Une sorte d'« Ici et maintenant » brillant, savoureux dont Elisabeth sans le savoir est la provocatrice et qui rend Cécile à ses origines d'ignorance et de fertilité. »

Histoire de Volubilis est un texte superbe, sur le temps menacé ; temps minutieusement mesuré par Cécile qui survit, mieux, qui construit. La souffrance comme initiation.

■ Éditions Mercure de France, 1986, ISBN : 2715213840


Du même auteur : Le sel - Le cahier vert/ Journal 1961-1989

Commenter cet article