Nécessaire stoïcisme
Les stoïciens recommandaient de distinguer d'abord ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. Une distinction qui, aujourd'hui surtout, dans un monde qui brouille les cartes, résonne comme un conseil d'ami.
Zénon de Citium (vers 335-vers 264 av. J.-C.). Philosophe grec, il fonda, vers 301, l'école stoïcienne, laquelle enseigne à ne point redouter le destin. On raconte qu'il se donna volontairement la mort quand il s'estima au terme de sa carrière.
Le stoïcisme régna sur les esprits pendant près de six siècles. Loin de les brider, de les asservir à quelque fatalité, il les libéra de l'emprise d'un idéalisme étouffant et offrit les délices d'une réflexion où la liberté de penser était vécue comme un idéal. Mais qu'entend-on vraiment par « stoïcisme » ? Certainement pas ce que le langage courant a retenu. Car le stoïcien n'est pas stoïque. Bien au contraire !
C'est à Alfred de Vigny que l'on doit l'image du sage qui attend la mort avec résignation, sans gémir ni se plaindre. « La mort du loup » offre une vision réductrice d'une philosophie fondée sur la coopération plus que sur l'acceptation.
La différence est de taille. Coopérer n'est pas collaborer. Coopérer, certes, mais à quoi ? Et comment faire pour ne pas se renier ? Pour les stoïciens, le destin est la cause première de toute chose. De là découlent un ordre et une connexion qui ne peuvent être ni forcés ni transgressés : nulle place pour le hasard ou pour la spontanéité. Le destin est la force vitale, le souffle divin qui préside à l'organisation du monde.
Cette image, les philosophes du Portique l'ont empruntée à la mythologie, telle qu'Hésiode et les poètes la racontaient. Zenon de Citium, le fondateur de l'école stoïcienne (que reprendront Sénèque, Epictète ou Marc Aurèle), professe que le destin est l'autre nom de la nécessité, et qu'il ne faut point le redouter mais lui faire bon accueil.
Le destin est une providence, il unit les êtres entre eux et affecte les événements qui vont advenir. Prétendre lutter contre le destin est donc l'illusion suprême. « Le destin guide celui qui l'accepte, il traîne celui qui lui résiste », disait Sénèque.
La sagesse stoïcienne nous apprend à trouver notre place dans un monde qui brouille les cartes : ne céder ni à la démesure ni à la haine de soi. C'est la véritable élégance : savoir qui on est et réduire le plus possible la part de comédie, de mythomanie.
Les stoïciens recommandaient de distinguer d'abord ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. Une distinction qui, aujourd'hui surtout, résonne comme un conseil d'ami.
Je dois admettre que seules dépendent de moi mes actions et mes opinions, tandis que je n'ai aucune prise sur l'ordre du monde. Je dois donc accueillir sereinement ce que le destin m'envoie, quand bien même la mort viendrait là, sur-le-champ, prélever sa dîme. Ce qui dépend de moi ? Modifier l'opinion que j'ai des choses, non les éloigner. Il ne s'agit pas de s'aplatir, de se résigner, d'abandonner, mais de comprendre que, face à ce processus nécessaire qui ne dépend pas de nous, la sérénité vaut mieux que l'angoisse.
Cet assentiment au destin mène à dédramatiser. Appliquée à l'amour, à l'abandon, à la maladie, à tel échec ou aux maux qui s'abattent sur nous, cette version de la vie conduit à l'ataraxie, absence de trouble et condition première du véritable bonheur.
Paradoxalement, cette coopération nécessaire avec le destin crée les conditions d'une authentique liberté. Suis-je libre lorsque je prétends me battre contre les éléments ? Non, l'illusion m'emporte. La liberté consiste à vivre en accord avec la nature, à conformer ses désirs à l'ordre du monde, à ne dépendre ni des honneurs ni des autres. À choisir ses amis. Cela relève de mon choix, érige mon libre arbitre en absolu sur cette terre.
Sénèque et Marc Aurèle ont écrit sur l'amitié les plus belles pages qui soient. Le sage doit la rechercher, plus encore que le bonheur, puisqu'elle est l'addition de deux solitudes face à leurs actes, se passe d'épanchements et s'éprouve dans une commune appartenance à un mode de vie. Les stoïciens croyaient au destin sans le réduire à un simple déterminisme. Il y avait, dans cet entre-deux, la place pour une vie libre et solaire, remplie de joies, de fêtes et d'adhésion. Après la représentation, le rideau tombait, et parce que l'on savait cela dès le début de la pièce on en avait fait une œuvre d'art.
Le stoïcisme était dangereux : il invitait l'homme à se construire en liberté et selon des affinités électives. Il vécut son âge d'or au temps des César, à Rome. Et lorsque ces derniers choisirent de se convertir, on versa sur cette école de liberté un ciment qui verrouilla pour longtemps les esprits et révoqua une chose des plus précieuses, une chose qui seule dépend de nous : le panache.
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